ÉPISODE 14 / BATTEMENTS DE TERRE

Programme / séance de 20H15

AU LIEU
Gisèle Rapp-Meichler & Luc Meichler
(France / 1980 / 16 mm transféré en numérique / n&b / 10 min.)

Dans l’atmosphère onirique de AU LIEU, ponctuée par les mots d’un poème (« Strette ») de Paul Celan et les notes sourdes d’un piano antédiluvien, les pierres semblent vivantes. Tourné dans l’hiver alsacien dans un château en ruine, les éboulis deviennent la métaphore de l’effritement du temps. Selon Dominique Noguez, c’est « l’exemple précieux d'un film expérimental qui n'est pas virtuosité pure et sans racine, mais façon de tirer un plaisir visuel universel d'une terre précise et qui garde mémoire ».

LES PETITS OUTILS
Emmanuel Piton
(France / 2018 / 16 mm transféré en numérique / n&b + couleur / 11 min.)

Une libre adaptation du texte « Une fonderie » de Christophe Piret, empruntant certains sons à POUR MÉMOIRE (LA FORGE) de Jean-Daniel Pollet et Maurice Born, dont il prolonge le puissant témoignage. Ces sonorités fantômes - voix, bruits - qui peuplent le squelette d’un atelier abandonné évoquent le passé d’un monde ouvrier.
Tourné en 16 mm dans un noir et blanc tour à tour charbonneux et incandescent, développé artisanalement, le métrage porte les stigmates de cette ruine, où subsistent les traces d’une activité révolue. Des étiquettes : chenets, carters, culasses, hélices, turbines, obus… Un gant, empreinte quasi pariétale, dans la poussière argentique… Quelque chose brule dans le noir de la pellicule, qui finit elle-même par se consumer, image par image, dans le faisceau rougeoyant du projecteur.

MUES
Daniel Nehm
(France / 2017 / 16 mm transféré en numérique / couleur / 20 min.)

« Ce qui m'a poussé à faire ce film était l'impulsion de m'approcher au mystère et à la fragilité d'un espace "entre deux" qui faisait partie du quartier ou je vivais à l'époque, à Pantin, en banlieue Parisienne. Un espace urbain délaissé qui accueillait pourtant une grande diversité de personnes (et de plantes et d'autres êtres vivants).
Un espace à la fois oublié, mais plein de traces de vie, de voix, de sons, d'images,
de couleurs.
Un terrain de liberté, situé à la périphérie urbaine, qui échappe aux mécanismes d'une ville parfaitement contrôlée et orchestrée. Le point de départ était un exercice d'écoute.
Il s'agissait d'enregistrer les voix de ces voisins, connaître leur vie, leur mémoire, transmettre leurs idées et leur résilience, mais aussi les sonorités diverses, les bruits indéchiffrables de cet espace urbain. Dans certains cas, par exemple celui du réfugié afghan Sameh Bahoduri, je me suis approché directement, le microphone en main, afin de faire sa connaissance. Dans un autre cas,  c'étaient des enfants qui s'approchaient, pendant que j'étais en train d'enregistrer les sonorités de l'eau du canal. Sur le plan de l'image, il s'agissait de trouver une forme et une texture qui permettent d'écouter réellement ces voix, d'être attentif, de provoquer l'imagination.
Après une longue recherche, j'ai découvert la pellicule Aviphot, en 16 mm, qui ne se trouve pratiquement plus aujourd'hui et qui contient un grain et des couleurs très particulières.
Le matériel est filmé avec une Bolex 16 mm et a été révélé, en partie à la main, dans les laboratoires de L'Abominable et de l'ETNA. Une partie (par exemple la destruction des vitres du bâtiment) a été enregistrée initialement avec une caméra numérique, puis re-filmée en 16 mm au travers du banc-titre de L'Abominable, afin de transformer les images et leur donner un aspect plus graphique et expressif, quasiment abstrait. L'idée était aussi de construire des images vibrantes qui contrastent fortement avec le numérique des images de synthèse du projet immobilier (une autre façon "d'imaginer" un espace urbain). 

Aujourd'hui, je suis toujours en contact avec Sameh. Le mois dernier (mars 2023), après avoir vécu plus de 12 ans dans l'illégalité et dans la précarité à Paris et en banlieue, il a finalement reçu ses papiers confirmant son statut de réfugié, en France, un grand pas vers un avenir plus stable. »

(Propos extraits d’une correspondance email avec Daniel Nehm)

Certaines images ont été filmées lors du spectacle Cargo Fantôme (2013)
Lumière: Eric Lebellec

MONUMENTS
Redmond Entwistle
(USA-GB / 2010 / 16 mm transféré en numérique / couleur / 25 min. / VOSTFR)

C’est à une sorte d’odyssée des banlieues américaines que nous convie MONUMENTS. Une invitation à déambuler et dériver dans les franges péri-urbaines, les friches, les territoires délaissés, les non-lieux - ces "espaces négatifs" que des artistes explorent dès les années 60 afin de révéler des sites invisibles, interroger l'archéologie contemporaine des paysages marqués par l'activité humaine, consacrer de nouveaux "monuments"...
Ces pratiques du déplacement de l'activité artistique à l'échelle de l'environnement, s'affranchissant des milieux clos de production et de monstration, donnent lieu à de nouvelles formes, à la fois critiques et esthétiques. Naviguant dans l'espace réel à la découverte de "sites spécifiques", des artistes font de l'acte de la traversée un instrument de connaissance et d'interprétation symbolique du territoire.
Trois artistes américains, emblématiques du post-minimalisme, incarnent cette démarche : Robert Smithson, Gordon Matta-Clark et Dan Graham. Le cinéaste britannique Redmond Entwistle, confiant les rôles à des acteurs, ressuscite les deux premiers et rajeunit le troisième (Graham était vivant lors de la réalisation du film ; il est décédé en 2022). Il s’agit d’une sorte d’exercice de ventriloquie, les réincarnations de chaque artiste déroulant un discours empruntés à leurs écrits, théorisant leur démarche d’inventaire et d’exploration du New Jersey, autrefois ceinture industrielle à la périphérie de New York, et la relation entre la grande ville et sa banlieue.
Avec un humour pince sans rire, nos trois héros interrogent la disparition de l’activité industrielle traditionnelle de la région par le repositionnement de l’Amérique du Nord au sein d’une économie globalisée.

"A brainy, beautifully imagined film with an unexpectedly dry humour to boot."
(International Film Festival Rotterdam, 2010)

À PROPOS :
DAN GRAHAM
GORDON MATTA-CLARK
ROBERT SMITHSON