BAL PERDU ?


films, scopitones & drinks
une séance de cinéma où l'on peut danser

aux Lectures Aléatoires
19 rue des Augustins, Bordeaux (Quartier Victoire)





Vous souvenez-vous du nom du petit bal perdu ? Ce dont on se souvient, c'est de cette chanson mélancolique de Robert Nyel et Gaby Verlor interprétée par Bourvil, fantaisiste abonné aux rôles de naïf qui soudain apparaissait la voix tremblante et le regard embué. Évocation d'un dancing fantôme qui appelle d'autres images, fixes ou mobiles, ces films où les relations humaines se tissent ou s'achèvent, en noir et blanc granuleux ou en couleurs nocturnes, dans des cafés, sur une piste de danse, à l'entrée de boites de nuit, sur fond de musique désuètes ou branchées, dans la fumée des cigarettes... BAL PERDU ? Mais retrouvé le temps de trois séances de cinéma et d'une poignée de films anciens et récents, dans un lieu approprié, un bar où l'on peut boire un verre à une table ou au comptoir, discuter avec le gars ou la fille à côté, et même danser...
Twist psychédélique, rétropop, futuroswing, tango argentique, do the shake, do the dog, what you see is watusi...




session 1
vendredi 13 avril - 21h


Rockflow (1968)


Pour ouvrir le bal, le beau BAL'TRINGUE conte musette et chante du Fréhel accompagné à l'accordéon. Puis PANDORE (2010, vidéo, couleur, 36 min.), film de Virgil Vernier, observe avec verve un physionomiste à l'entrée d'une boite de nuit parisienne, le ballet des clients, les stratégies pour accéder au sésame... Jean-Daniel Pollet, avec POURVU QU'ON AIT L'IVRESSE (1958, 35mm transféré en vidéo, n&b, 20 min.) livre avec humour un document sans paroles mais en musique (mambo, cha-cha-cha, calypso...) sur les dancings et la solitude de prétendants cavaliers. Dans son premier film, LES MAUVAISES FRÉQUENTATIONS (1963, 16mm, n&b, 42 min.), Jean Eustache nous rappelle que le film de drague est tout un art : à Paris, deux jeunes hommes trainent dans les cafés, accostent une jeune femme, la baratinent, l'emmènent au bal, mais...
Un saut à Juan-Les-Pins en 1961 pour la coupe du monde du rock'n'roll (avec Vince Taylor et ses Play Boys, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, Rocky Volcano, Les Satellites, Doug Folks et les Airdals) filmée au plus près par Henri Calef dans LE TEMPS DE LA FUREUR (n&b, transfert numérique d'après 35mm, 17min.), un crochet par New York pour participer à la fête psychédélique de ROCKFLOW (1968, 16mm, couleur, 9 min.) captée par le cinéaste et acteur underground Bob Cowan, et on finit au tapis avec TWIST PARADE (1962, n&b, transfert numérique d'après 35mm, 5 min.) de Jean Herman, une boule de nerf visuelle d'une modernité abrasive.
Une sélection de films musicaux des années 60, en projection 16mm, vient compléter le programme.


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Virgil Vernier
PANDORE

(2010, vidéo, couleur, 36 min.)

Entre le documentaire insolite et l’observation sociologique, les films de Virgil Vernier surprennent et visent juste, que ce dernier suive un personnage anachronique et loufoque (Thermidor), s’installe au milieu des policiers (Flics, Commissariat) ou se fixe comme ici sur l’entrée d’une boîte de nuit parisienne.
Le dispositif de Pandore, assez simple, révèle rapidement des partis pris. La caméra presque fixe est éloignée du sujet (Mathieu, physionomiste en plein travail) alors que la prise de son est au plus proche de l’action. Aucun commentaire si ce n’est le titre évocateur et un carton de début, extrait des Caractères de La Bruyère: “La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme autant de petites républiques qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon et leurs mots pour rire.”
De ces indices entremêlés, trois approches viennent se superposer au regard du cinéaste. L’effet de mise à distance par le décalage entre l’image et le son oriente notre attention sur les attitudes d’un employé observé dans son environnement de travail, et confronté aux situations somme toute banales de l’entrée en boîte de nuit : tri sur le volet et refus d’accès aux clients potentiellement problématiques ou trop avinés. Le titre, lui, donne plutôt l’impression d’un possible parallèle entre ce gardien et une sorte de demi-dieu tout puissant, maîtrisant l’ouverture de la fameuse boîte, et détenteur des clés d’entrée dans ce monde en vase clos. Quant à la citation, elle incite à l’interrogation face au physionomiste, simple rouage d’une microsociété à l’autorité “kafkaïenne” et extrêmement codifiée.
Avant tout, il s’agit d’observer ce juge étrange, absurde ou impitoyable, affable ou emprunt de fermeté, adulé, respecté, redouté, et dont la sentence aléatoire crée la discrimination. Mais c’est aussi tout un monde qui s’agite autour de lui : ses collègues, bien sûr, mais surtout ses clients. Aucun ne semble être vraiment assuré de pouvoir entrer et, soumis à l’épreuve, chacun développe devant nos yeux distants et souvent réjouis, des stratégies variées : tentatives de familiarisation, argumentation détendue, humour, menaces, interventions physiques et coups de gueule, tout y passe.
Allégorie de la frontière et de son gardien, du passage de l’état de rejeté à celui d’initié, ce documentaire est un étrange miroir dans le reflet duquel chacun va finalement pouvoir trouver son alter ego. Que l’on soit amusé par cette “faune” venue se presser à l’entrée de la boîte de nuit, que l’on soit révolté ou compréhensif face à ce panel de “caractères” et à leurs réactions et sentiments exacerbés, il ressort de l’observation de ce microcosme un enjeu, certes dérisoire et pourtant terriblement universel, qui est d’en être ou pas.

Marie-Anne Campos
in Bref Magazine




Jean-Daniel Pollet
POURVU QU'ON AIT L'IVRESSE

(1958, 35mm transféré en vidéo, n&b, 20 min.)

Claude Melki dans Pourvu qu'on ait l'ivresse © Films sans Frontières, Paris


Issu d'une famille de la haute bourgeoisie, Jean-Daniel Pollet (1936-2004) débute Sciences Po à Paris mais il abandonne après deux années et s'intéresse au cinéma. Il fait ses premiers pas derrière la caméra avec un documentaire animalier puis réalise un reportage inédit sur les habitués de Saint-Tropez. Pendant son service militaire, il est reporter d'actualités pour le Service Cinématographique des Armées. Il en profite pour tourner durant les week-ends, avec le matériel emprunté, son premier court-métrage, Pourvu qu'on ait l'ivresse qui remporte le prix de court-métrage à Venise en 1958. A l'âge de vingt-et-un ans, ce jeune réalisateur est déjà célèbre.
Pourvu qu'on ait l'ivresse apporte à son auteur une reconnaissance incontestable auprès des cinéphiles. Jean-Daniel Pollet s'attache à raconter les bals de banlieues, les acteurs sont choisis parmi les habitués de ces lieux, et c'est ainsi que le réalisateur fait sa première rencontre avec Claude Melki, tailleur de son état, qui devient son acteur fétiche. En 1965, le cinéaste participe à une entreprise collective des fers de lance de la Nouvelle Vague, Paris vu par... Son sketche met de nouveau en scène Claude Melki, reçu par une prostituée et confronté à la difficulté de poursuivre ce qui l'a poussé à monter dans cette chambre. On retrouve Claude Melki dans L'amour c'est gai, l'amour c'est triste (1968) en petit tailleur complexé qui prend enfin sa revanche dans L'acrobate (1976), trouvant sa destinée dans la peau d'un danseur de Tango.




Jean Eustache
LES MAUVAISES FRÉQUENTATIONS

(1963, 16mm, n&b, 42 min.)

Jean Eustache (1938-1981) a 25 ans quand il démarre les prises de vues de son premier métrage. Un film préparé dans un certain secret et avec les moyens du bord. Malhonnêtes au besoin... Jeannette Delos, la femme du réalisateur quasi novice, qui travaille alors comme secrétaire aux Cahiers du cinéma, pioche dans la caisse de la revue pour boucler le budget des Mauvaises Fréquentations - "Ce sera vite pardonné", selon l'ami et futur producteur Pierre Cottrell. Le tournage, démarré à l'automne 1963 et prévu sur trois week-ends consécutifs, se prolonge en fait jusqu'en février 1964, en fonction des disponibilités des uns... et des ressources financières des autres. La vision du film est tout aussi compliquée : baptisé alors Du côté de Robinson (ce qui apparaît encore dans plusieurs filmographies d'Eustache), il ne sortira en salles qu'en juin 1967, couplé en double programme avec Le Père Noël a les yeux bleus, sous le titre générique de... Les Mauvaises Fréquentations.
D'après Evane Hanska, le scénario s'inspire d'une mésaventure vécue par Jeannette Delos à Paris. Après une dispute conjugale, elle était partie marcher pour se calmer. Arrivée sur le boulevard de Clichy, elle s'était fait accoster par deux types qui avaient fini par lui voler argent et papiers... Dans Les Mauvaises Fréquentations, deux glandeurs, plus vraiment ados, pas vraiment adultes, espèrent une existence moins grise en buvant des coups dans les cafés de Pigalle. Jackson et son ami n'ont pas les moyens d'inviter des filles et, de toute façon, ils ne sont pas dans le bon quartier pour inviter celles dont ils rêvent. Une jeune femme au visage triste finit par accepter de prendre un verre avec eux. Elle raconte qu'elle vient de quitter son boulot, qu'elle s'est séparée de son mari qui la battait comme plâtre et qu'elle doit trouver un nouveau travail afin de payer la nourrice de ses deux petits garçons. Elle convainc ses deux soupirants d'aller danser à La Crémaillère, la boite chic de Montmartre. C'est fermé, alors les trois compagnons de déveine se replient dans un dancing sinistre - Eustache rêvait de tourner la scène dans le sous-sol de La Coupole mais il a du se rabattre sur un établissement beaucoup moins prestigieux du quartier de La Chapelle. Pendant que la jeune femme se fait inviter par un autre cavalier, ils lui piquent son portefeuille et se sauvent en courant. Avant d'utiliser les billets volés pour s'offrir deux doubles whiskies dans un bistrot, puis se quitter...
Rarement l'ennui poisseux du dimanche ou la veulerie de comportements frisant la lâcheté n'ont été reproduits avec une telle justesse. Comme l'a noté Jean Collet, les problèmes que se posent Jackson et son ami pour aborder une fille "sont ceux que le cinéma refoule habituellement, préférant montrer le succès et la conquête plutôt que la quête".
Au détour d'un plan de Pigalle, on aperçoit la façade d'une boutique de vêtements. Son nom ? "Nouvelle vague". Tout sauf un hasard... On retrouve d'ailleurs exactement le même plan et la même enseigne dans Bande à part de Godard, film quasi contemporain, tourné en février 1964. Les Mauvaises Fréquentations est ainsi le petit frère des oeuvres fondatrices du mouvement qui, depuis cinq ans, a révolutionné le cinéma français.

Samuel Douhaire
in Le Dictionnaire Eustache, Editions Léo Scheer, 2011.




Henri Calef
LE TEMPS DE LA FUREUR

(France, 1961, n&b, transfert numérique d'après 35mm, 17min.)

Vince Taylor (à gauche) et Rocky Volcano dans Le temps de la fureur (1961) © Les Documents Cinématographiques, Paris


Aux antipodes de la nouvelle vague, Henri Calef est au début des années 60 un représentant de la vieille école, de cette "qualité française" devenue désuète. Les noms d'Edgar Morin (scénariste de L'heure de la vérité, 1964, avec Karl Boehm), Viviane Romance, Guy Decomble, Anouk Aimée, Ginette Leclerc... ont beau défiler au générique, ses films, où pourtant de sombres secrets menacent de briser le calme apparent du quotidien et où plane l'ombre de la vengeance, se distinguent pour la plupart par une mise en scène atone, terne, où les acteurs ont l'air de sortir du Musée Grévin. Calef se trouve à Menton sur la Côte d'Azur en août 1961 pour y tourner un documentaire parfaitement insipide sur le Festival de musique classique quand il est débauché à Juan-les-Pins pour couvrir la coupe du monde de rock'n'roll qui a lieu du 25 au 31 août au Vieux Colombier. A l'affiche : Vince Taylor et ses Play Boys, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, Rocky Volcano, Micky Ameline et Les Satellites, Doug Folks et les Airedals.
Sans se départir de son académisme de bon artisan, et malgré un son post-synchronisé, Calef parvient à capter les vibrations sauvages des musiciens face à un public plutôt sage. On s'amuse à voir Vince Taylor en maillot de bain, reluquant les donzelles faire du trampoline sur la plage, avant de le retrouver le soir sur scène, suant sous son cuir noir, chaine autour du cou... Rocky Volcano, crooner en costume lamé argent, se roule sur scène, déchire sa chemise, simule l'épilepsie encadré par ses deux guitaristes... Micky Ameline, sorte de Sheila un peu punk, roule des yeux et semble au bord de la syncope... Du rock'n'roll quoi, avant que le show-biz ne vienne assagir cette tornade sous l'étiquette "yé-yé". À l'époque, ce court métrage était diffusé en première partie de Vie privée de Louis Malle, avec Brigitte Bardot.




Bob Cowan
ROCKFLOW

(1968, 16mm, couleur, 9 min.)

Bob Cowan dans l'inénarrable Sins of the Fleshapoids de Mike Kuchar (1965)


Bob Cowan, disparu le 21 juin 2011, est une figure méconnue mais flamboyante de l'underground new-yorkais des années 60. En tant qu'acteur, cinéaste, chroniqueur, et même projectionniste, il a contribué à l'émergence d'une scène artistique dont l'influence est toujours aussi prégnante. Il serait fastidieux de tenter de décrire le génie de son jeu faussement naturel qu'une poignée de spectateurs ont pu apprécier lors de quelques séances que nous avions consacrées aux frères Kuchar, en 1999 à Bordeaux ("Tales of the Bronx", chez R2, rue Renière). Aussi, nous invitons les lecteurs anglophones à découvrir ici l'hommage que lui rend notre confrère et ami Jack Stevenson, à qui l'on doit également la copie projetée ce soir.
Rockflow est la seconde et dernière réalisation de Bob Cowan derrière la caméra après Soul Freeze, mais ces deux films sont de magnifiques précipités d'une époque sous acide. Nous assistons à la soirée inaugurale d'une boutique de mode à l'Electric Circus, dans l'East Village à New York. Les Chambers Brothers y donnent un concert, et toute une faune branchée habillée pour la circonstance y ondule. Ce qui aurait pu être un simple document expérimental sur la tendance d'une époque sort progressivement des rails, la caméra et le montage se font plus agressifs et au final on se retrouve en plein trip psychédélique... Enjoy !

Jean Herman,
TWIST PARADE

(1962, n&b, transfert numérique d'après 35mm, 6 min.10)

Twist Parade de Jean Herman © Les Documents Cinématographiques, Paris

Jean Herman, plus connu de son nom de plume Jean Vautrin, a été l' assistant de Roberto Rossellini pour les besoins du documentaire India, terre mère, réalisé pour la télévision italienne et a réalisé cinq longs-métrages pour le cinéma, dont le fameux Adieu l'ami (1968) avec Alain Delon et Charles Bronson. Ce qu'on sait moins, c'est qu'il a réalisé un certain nombre de courts métrages au début des années 60, dont un portrait d'Henri Langlois et de la Cinémathèque Française, et surtout, ce qui nous intéresse ici, des films foncièrement expérimentaux comme Twist Parade et Actua-Tilt, des essais féroces sur la société du spectacle et de consommation, montage percutant d'images d'actualité, de publicité, de musiques et de sons divers, collages speedés provoquant des collisions de sens.
Twist Parade, 50 ans plus tard, n'a pas perdu de sa vigueur et nous parvient encore comme un appel à l'indignation et au soulèvement.




Et comme promis, une superbe sélection de scopitones...

See you soon...





session 2
jeudi 19 avril - 21h


The History of the Typewriter recited by Michael Winslow (2009)




En guise d'introduction, THE HISTORY OF THE TYPEWRITER RECITED BY MICHAEL WINSLOW (2009, HD, couleur, 21 min.) de Ignacio Uriarte, comme son titre l'indique, revisite l'histoire de la machine à écrire au travers de ses spécificités sonores - cliquetis, frappes et sauts à la ligne - en un exercice vocal virtuose par l'artiste connu comme "the Man of 10 000 sound effects". PLASTIC & GLASS (2010, HD, couleur, 8 min.) de Tessa Joosse, entre symphonie industrielle et comédie musicale, filme la chorégraphie du travail à la chaine dans une usine de recyclage dans la grisaille du nord de la France, le choeur des ouvriers au travail s'élevant soudain, complainte belle et morne. Dans le ton relevé du cinéma-vérité, Jacques Godbout nous fait le portrait de FABIENNE SANS SON JULES (1964, 16mm, n&b, 27 min.), chanteuse franco-canadienne piquante qui poursuit de ses assiduités Jean-Luc Godard, tandis qu'avec STANDARDS (2010, HD, couleur, 16 min.), les Belges Maxime Pistorio & Julie Jaroszewski croquent avec malice les coulisses d'une soirée huppée où des musiciens de jazz se préparent à interpréter un répertoire de circonstance. Prêtons ensuite l'oreille, grâce au film de Guillaume André, UNE AUTRE VOIX (2009, HD, couleur, 55 min.), à la mutation physique et psychique de ces personnes qui ont choisi de changer de voix, parce que jugée problématique - trop fluette, forte, étrange voire anormale... À l'issue de la séance, il sera permis de discuter et même de chanter...


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Ignacio Uriarte
THE HISTORY OF THE TYPEWRITER RECITED BY MICHAEL WINSLOW

(Allemagne, 2009, HD, couleur, 21 min.)
À l'origine de cette première réalisation vidéo d'Ignacio Uriarte, les sons de 62 machines à écrire d' époques, d'origine et de technologie différentes furent enregistrés. Puis l'acteur Michael Winslow, connu sous le nom de "l'homme aux 10 000 effets spéciaux" pour son aptitude à reproduire vocalement une infinités de sonorités, en a fait une sélection chronologique afin de retracer près de 100 ans de dactylographie uniquement par une présence sonore.






Tessa Joosse
PLASTIC & GLASS

(France, 2010, HD, couleur, 8 min.)

Entre symphonie industrielle et comédie musicale, la chorégraphie du travail à la chaine dans une usine de recyclage dans la grisaille du nord de la France. Le choeur des ouvriers au travail s'élève, à la fois morne et poétique complainte des gestes sans cesse répétés. L'antithèse des films de propagande soviétique à la gloire du fier ouvrier, porté par la promesse d'un avenir meilleur. Ici, le monde se manifeste au travers de ses déchets.






Jacques Godbout
FABIENNE SANS SON JULES

(Canada, 1964, 16mm, n&b, 27 min.)

"Le luxe dont s'entoure une artiste, la fortune qu'elle possède ou qu'on lui prête, l'adulation dont elle est l'objet, en font un être éthéré, difficile à intégrer au monde du travail. Sous les traits de la vedette, la chanteuse Pauline Julien révèle une jeune femme très humaine, inquiète et soucieuse de perfectionner son art." (in Catalogue de l'Office National du Film du Canada)
Grand prix de la Semaine internationale du film 16mm, Évian, 1964.






Maxime Pistorio & Julie Jaroszewski
STANDARDS

(Belgique, 2010, HD, couleur, 16 min.)

Une soirée privée s’organise dans un majestueux château. En coulisses, les musiciens de jazz évoquent la « prostitution artistique » en attendant leur apparition surprise au dessert. Derrière les portes de la salle des fêtes, ils entendent les invités rire et chanter…
"Standards semble avoir été tourné par deux amis qui en auraient eu ras le bol de leurs situations d’impuissances dans un climat social plus que tendu, et qui auraient donc fait le choix de retourner le regard. Drôle, aux petits accents « Strip Teasien » un peu condescendant, piquant et assez malin pour tenir en quelques minutes des questions fortes, Standards ne se paie pas de trop de mines et va vite à l’essentiel pour toucher avec intensité à la violence des rapports de classes. Mais la caméra est là justement pour s’en libérer. C’est drôle, modeste et salutaire."
Anne Feuillère, sur cinergie.be - le site du cinéma belge






Guillaume André
UNE AUTRE VOIX

(France, 2009, HD, couleur, 55 min.)

La voix, on le dit, à l’égal des empreintes digitales, nous serait unique à chacun. En propre. Et pourtant, on le sait, on ne s’entend jamais soi-même. Et pourtant, on l’oublie sans cesse, notre voix est moins nôtre qu’elle ne cesse de traverser notre corps, notre tête. Si peu à nous, donc : envoyée, éperdue, et nous derrière à sa traîne. Et pourtant certains souhaitent en changer. Motif professionnel, raison d’amour-propre, une enseignante d’origine chinoise, une jeune avocate, une jeune commerciale, et d’autres embarrassés de la gorge consultent pour travailler à modifier l’organe.
C’est le labeur de cette lente mutation auquel nous convie Guillaume André pour son premier film. Technique d’orthophoniste et psychologie se mélangent ici, puisque toujours il s’agit d’articuler : un être et son expressivité. Et c’est cette articulation précise, mécanique, qui donne tout son prix aux séquences qui se suivent. S’y logent l’émotion, l’humour, la beauté des inquiétudes à ainsi étrangement muer. L’horizon du chant n’est pas loin, et avec lui la promesse d’une envolée, signature d’oiseau, affranchie des pesanteurs de son identité.


Entretien avec Guillaume André au sujet de UNE AUTRE VOIX paru dans le quotidien du FIDMarseille du 9 juillet 2010




session 3
mercredi 25 avril - 21h



Juliette Gréco entre Marcel Pagliero et Raymond Queneau dans Désordre (1948)




DÉSORDRE : le Saint-Germain-des-Prés d'après-guerre filmé par Jacques Baratier fourmille d'une faune irrévérencieuse, entre performance lettriste (Gabriel Pommerand), tour de chant surréaliste (Juliette Gréco dans les ruines) et jazz au Tabou. En 20 minutes, ce court métrage tourné en 1948 voit défiler Boris Vian, Simone de Beauvoir, Jean Cocteau, Orson Welles, Jacques Audiberti, Claude Luter, Roger Vadim et bien d'autres. On reste dans le registre du beat endiablé avec un slapstick désopilant de Lupino Lane, CASSE TON PIANO (1929, n&b, muet sonorisé, 10 min.), manifeste de la joie dans la destruction, et SOPHIE ET LES GAMMES (1964, 16mm, couleur, 13 min.) où Julien Pappé utilise des techniques d'animation mixte pour une farce aux accents pop à la Jean-Christophe Averty. Le New-Yorkais Jeffrey Scher emprunte lui à la technique du rotoscopage et du pochoir coloré dans trois films qui dansent, clignotent et virevoltent - REASONS TO BE GLAD (1980, 16mm, 4 min.), SYNEX & YOURS (1997, 16mm, 7 min.) et TURKISH TRAFFIC (1998, 16mm, 4 min.). Pour finir, c'est dans le registre de l'art combinatoire que se situe ARCANA (2011, DigiBeta, couleur, 33 min.) de Henry Hills, avec ses 254 scènes distribuées en 15 séquences, en un jeu ésotérique de correspondances visuelles orchestré par la bande-son de John Zorn.
Mais DJ Superlove ne vous laissera pas partir sans avoir goûté à quelques unes de ses spécialités vinyliques.


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Jacques Baratier
DÉSORDRE

(France, 1947-1948, 16mm, n&b, 18 min.)

Avec Gabriel Pomerand, Boris et Alain Vian, Jacques Audiberti, Juliette Gréco, Roger Pierre, Yahne Le Tourmelin, Claude Luther, Jean Cocteau, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Pierre Richard, Orson Welles.

DÉSORDRE dévoile l’attachement profond de Jacques Baratier au Paris d’après-guerre, en particulier au quartier de St-Germain-des-Prés à la fin des années 40, en plein bouillonnement créatif et intellectuel.
Ce documentaire accompagne l’émancipation de la jeunesse parisienne qui investit la vieille église de Paris, les cafés et les caves de Saint-Germain, des lieux mythiques (le Flore, les Deux Magots, la Hune, le Tabou, le Club Saint-Germain, la Rose Rouge, le Vieux Colombier) où elle découvre le Be-bop et le New Orleans Jazz, Claude Luter et Boris Vian, les poèmes de Prévert, les romans de Camus, le mouvement lettriste à la tête duquel se trouve Gabriel Pomerand, et la philosophie de Sartre.
Se déroulant au fil des rencontres, DÉSORDRE croise également différentes personnalités peuplant cette jungle moderne que Jacques Baratier a côtoyée de près : de Boris Vian à Simone de Beauvoir, en passant par Jacques Audiberti, Olivier Larronde, Alexandre Astruc, Jean Cocteau ou encore Juliette Gréco, interprète de "Si tu t’imagines" de Raymond Queneau et Joseph Kosma.

à propos de Jacques Baratier



Henry W. George (aka Lupino Lane)
CASSE TON PIANO
(USA, 1929, 16mm, muet sonorisé, 10 min.)



Connu également sous le titre "Ah, quelle famille", "Summer Saps" (titre original qu'on peut traduire par "Nigauds d'été", ou bien pour reprendre l'aphorisme de Louis Calaferte, "Touristes : idiots de passage") est un court métrage survolté, typique des productions dans lesquelles Lupino Lane fait des siennes. Acteur britannique, il fut populaire au théâtre et au cinéma où, contemporain de Chaplin, Lloyd, Keaton, il joua dans une quarantaine de comédies Hollywoodiennes avant de diriger lui-même ses films. À l'instar de Larry Semon (qui a inspiré le personnage de Pee Wee Herman), Billy Franey, Snub Pollard ou Billy Bevan, Lupino Lane fait partie de ces grands artistes oubliés du slapstick, ce genre de farce speedée et acrobatique de l'ère du muet, où les gags reposent sur une part de violence physique exacerbée et une destruction en règle des convenances. Lupino était un acteur très agile et versatile qui excellait dans le rôle du gommeux teigneux, mais aussi de l'élégant trublion, déclenchant évidemment des catastrophes hilarantes en série. Dans le film de ce soir, Lupino part en villégiature au bord de la mer avec sa famille - son épouse géante et acariâtre, et leurs deux garçons qui s'avèrent d'irrépressibles chenapans. Le mauvais temps les contraint à rester à l'hôtel avec un voisin musicien, mais la musique n'est pas toujours faite pour adoucir les moeurs... Un film de saison en quelque sorte...




Julien Pappé
SOPHIE ET LES GAMMES

(France, 1964, 16mm, couleur, 13 min.)



"Sophie va sagement prendre sa leçon de piano mais devant les reproches de son professeur, qui ne semble pas apprécier à sa juste valeur son jeu peu conformiste, la petite fille bien sage va se transformer en une infernale créature."

le portrait de Julien Pappé, cinéaste d'animation et expérimentateur




Jeff Scher
REASONS TO BE GLAD

(USA, 1980, 16mm, couleur, 4 min.)
SYNEX & YOURS
(USA, 1997, 16mm, couleur, 7 min.)
TURKISH TRAFFIC
(USA, 1998, 16mm, couleur, 4 min.)



Jeffrey Noyes Scher est un cinéaste d'animation New-Yorkais dont le talent d'observateur, de dessinateur et de coloriste se manifeste dans la trentaine de courts métrages de nature très variée qu'il a réalisés depuis 1974. On peut situer son travail dans la lignée du film d'animation selon Robert Breer ou du cinéma sans caméra de Len Lye. La musique y tient une place prépondérante, faisant littéralement danser les motifs et la couleur réalisés au rotoscope ou parfois directement peints au pochoir à même la pellicule 16mm. le moins qu'on puisse dire de ses films est qu'ils sont pétillants et pleins de fraicheur.

"Nombre de mes films furent de vraies expériences - pour commencer par un simple "Je me demande ce qui pourrait se passer si..."Les idées viennent d'un peu partout - les animaux des amis, des objets ramassés dans la rue, la démarche d'un obèse dans des chaussures trop serrées ou la façon dont deux tons d'aquarelle se mélangent pour faire une centaine de nouvelles couleurs. Cela commence par l'amour du film et le désir gourmand de remplir chaque image avec autant de couleurs et de formes que possible.
Beaucoup de ces films sont sortis de la caméra finis, d'autres ont nécessité un refilmage infini. Les appareils que j'ai utilisés datent de trente à soixante ans. Tous les "effets" sont des variations de technique qui existent depuis les années 20. En les revisitant, j'ai ouvert une infinité de portes sur d'heureuses découvertes. Ces films représentent le meilleur de ces expérimentations. J'aime les considérer comme un hommage au médium.
J'utilise différentes méthodes d'animation pour explorer le mouvement des gens et des choses. Le rotoscopage me permet de réduire le mouvement à une simplification représentative ou une interprétation calligraphique ; le mouvement et le caractère sont distillés pour devenir des traces sur le papier.
Le mouvement du grain m'a également inspiré. C'est du cinéma à l'état pur ; 24 différents états de la lumière par seconde. le grain créé une texture de mouvements et de formes apparents malgré le fait qu'il n'y ait aucun mouvement et que les motifs soient aléatoires.
Les portraits sont un autre type de célébration filmée. L'idée du film comme fenêtre dans le temps, qui triche sur son passage ; nous volons ces images".

Jeffrey Scher
fezfilms.net




Henry Hills
ARCANA

(USA, 2011, HD, couleur et n&b, 33 min.)

"ARCANE : Nom généralement donné à toute opération alchimique
dont le secret ne doit être connu que des seuls initiés."

Malgré une importante filmographie, on n'avait pas eu trop de nouvelles d'Henry Hills depuis deux de ses fantastiques courts métrages montrés à Bordeaux, SSS et MONEY, réalisés au cours des années 80 et documentant le bouillonnement de la scène du Downtown NY émergeant des braises encore chaudes de la no wave : un montage percutant provoquait la collision visuelle et sonore de performances et de visions urbaines où apparaissaient John Zorn, John Lurie, Arto Lindsay, Ikue Mori, Lee Ranaldo, Christian Marclay, Tom Cora et une pléthore d'improvisateurs, de danseurs, d'artistes...
La collaboration entre Henry Hills et le compositeur-musicien multicartes John Zorn (Cobra, Golden Palominos, Naked City, Painkiller, Masada, le label Tzadik...) est une histoire de longue date, et l'occasion de retrouver le duo nous est donnée grâce à leur dernier opus en date. ARCANA applique à l'image le mode de distribution musicale adopté par John Zorn - les file-card compositions, méthode qui consiste à organiser des cellules sonores au sein d'une structure globale où l'interprétation libre des musiciens se juxtapose à la direction du compositeur ; le résultat s'apparente à un collage trépidant reflétant le rythme de la mégapole New-Yorkaise, à un montage cinématographique disparate, à un cut-up mêlant climats différents et parfois divergents interpellant l'attention du spectateur-auditeur. ARCANA, en s'accompagnant de Spillane, composition de 1987, collecte, assemble, tisse, égrène, puise dans un vaste répertoire visuel, sans souci narratif, pour laisser émerger un sens caché.

www.henryhills.com

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Nous remercions pour leur contribution à ces séances : Samir, Kazak Productions, l'Agence du Court Métrage (Stéphane Kahn), Jack Stevenson, Jean Vautrin, Les Documents Cinématographiques (Hélène Maugeri), Ignacio Uriarte, Le Fresnoy, Maxime Pistorio & Julie Jaroszewski, Aurora Films, Light Cone, Sixpackfilm (Ute Katschthaler), Superlove, et vous



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