Jeudi 21 et Vendredi 22 Novembre 2019 / 9h-18h
Colloque Charbonneau :
Liberté, nature et politique à l’ère de l’anthropocène
Actualité de la pensée de Bernard Charbonneau
Organisé par l’Association Aquitaine Bernard Charbonneau Jacques Ellul et le Centre Emile Durkheim
Sciences Po Bordeaux -Amphi Jacques Ellul
11, allée Ausone – Domaine Universitaire - Pessac
Tram : Ligne B – arrêt Montaigne-Montesquieu
Ouvert à tous, entrée libre.
Infos : www.sciencespobordeaux.fr
Programme complet disponible à Utopia
Thèmes présentés :
Contexte et fondements éthiques et spirituels de la critique du totalitarisme industriel. Vers la totalisation sociale. L’action écologiste et ses objectifs. Préserver ce qui reste de nature au prix de la liberté ? Alternatives. Dans quelle mesure l’œuvre de Charbonneau nous aide-t-elle à penser les enjeux contemporains du développement technoscientifique et industriel ?
Vendredi 22 NOVEMBRE à 20h15
Cinéma Utopia
SOIRÉE DE CLÔTURE DU COLLOQUE CHARBONNEAU
La fin du monde ou la fin d’une civilisation ?
La revanche de la Nature
PROJECTION DE URTH et SLOW ACTION, deux films de Ben Rivers
suivie d’une conférence/débat avec Thierry Paquot, philosophe
— Cette soirée est l’occasion d’associer les idées radicales de Bernard Charbonneau à des films critiques de la société « dé-naturalisante » et de comprendre comment l’on peut dénoncer l’absurdité d’une société prométhéenne aussi bien par l’écrit que par l’image. Sur une proposition de l’association Monoquini, nous avons choisi deux films du réalisateur Ben Rivers, Slow action et Urth, adaptés de récits de l’écrivain Mark von Schlegell. Ben Rivers, né en 1972, artiste et cinéaste britannique, joue sans cesse du documentaire et de la fiction pour produire des films hybrides dérangeants et poétiques qui questionnent écologiquement notre monde.
— Thierry Paquot
URTH
GB / 2016 / 19 min. / VOSTF / couleur (vidéo HD, tourné en 16mm)
Urth est le nom d’un complexe de serres abritant sur Mars des écosystèmes à une époque indéterminée. Une femme, peut-être la dernière survivante d’une catastrophe environnementale, en prend soin, commentant dans son journal de bord, méthodiquement, scientifiquement, l’évolution de ce vestige de la vie dont les images nous apparaissent déjà comme des ruines lointaines.
Si le récit évoque la fin d’un monde de science-fiction, le décor à la beauté mélancolique dans lequel Ben Rivers a tourné est bien réel : il s’agit de Biosphere 2, un projet d’écosystème artificiel tombé en désuétude en Arizona. Une utopie qui semble désigner un « futur sans avenir » dont l’humanité, coupée de son rapport à la nature terrestre, est irrémédiablement exclue.
+
SLOW ACTION
GB / 2010 / 45 min. / VOSTF / couleur et n&b (vidéo HD, tourné en16mm)
Slow Action se présente également comme un film de science-fiction post-apocalyptique, en quatre parties distinctes. Parcourant des environnements étranges ou extraordinaires, le récit applique la notion de biogéographie insulaire (l'étude de l'évolution des espèces et des écosystèmes isolés au sein d'un milieu hostile) à la conception de la vie sur terre dans quelques centaines d'années, l'accroissement du niveau de la mer ayant créé des zones où apparaîtraient de possibles micro-sociétés imaginées par l’écrivain de science-fiction Mark von Schlegell.
De mystérieux narrateurs nous accompagnent dans divers sites autour du globe : Lanzarote, île paradisiaque connue pour ses plages et néanmoins un des lieux les plus secs de la planète, parsemée de volcans éteints et d'architectures futuristes ; Tuvalu, un des plus petits pays au monde, strié de fines bandes de terre surnageant à peine au-dessus du niveau des eaux du Pacifique, dans l’archipel polynésien ; Hashima, surnommée Gunkanjima, «l ’île cuirassée », un rocher proche des côtes de Nagasaki au Japon sur lequel repose une ville de béton désertée et décatie, qui abritait autrefois des milliers de familles de mineurs y extrayant le charbon ; et Somerset, reliquat de l’ancienne Albion engloutie, où s’est instauré, au cœur des ténèbres, un modèle tribal sur les ruines de la civilisation...
Tournés avec une caméra mécanique 16mm Bolex, traités artisanalement dans un atelier-laboratoire où le hasard des manipulations chimiques confère une qualité particulière aux images, les films de Ben Rivers se consacrent aux zones en marge de la civilisation contemporaine, aux mondes clos ou préservés, et aux individus qui parfois les habitent. Cet artiste-cinéaste londonien, en étant à la fois cameraman, monteur, laborantin, jongle avec une économie où il maîtrise en solitaire l'ensemble du processus de création, en dehors des modes conventionnels de production – et de diffusion – cinématographique.
Mêlant les influences du roman d’anticipation et les aspirations sociales, philosophiques et politiques d’auteurs tels que Henry David Thoreau ou William Morris, Ben Rivers offre une expérience poétique originale qui résonne avec les préoccupations contemporaines autour des notions d’autonomie, de résilience, de survivance, de notre rapport au monde et à la nature.
— Bertrand Grimault
"J’éprouve un intérêt à l’égard de mondes qui ne sont pas aseptisés, propres et parfaits, mais qui trahissent une forme de vie - pas seulement du fait de la participation humaine, mais aussi des bactéries, des lichens, des dépôts minéraux, de la poussière et des particules. Le support filmique a une nature tangible qui reflète ces mondes, particulièrement quand il est traité dans ma cuisine avant d’être mis à sécher sur un fil au-dessus de la baignoire. La pellicule m’a toujours paru avoir moins à voir avec la vitesse qu’avec un ralentissement du temps. Par exemple, il y a un laps entre le filmage et le fait de voir le métrage, ce qui créé une incertitude sur ce qui a été capturé sur pellicule.
J’aime cette tension, parce que je ne veux pas être constamment à un endroit où je regarde ce que je viens juste de filmer, et répondre immédiatement à cela, mais plutôt je cherche à sentir que je suis en train de vivre réellement ces moments. Cette façon de travailler encourage l’aléatoire et l’accident. Puis, de retour chez moi, quand enfin je vois le résultat, il y a toujours des surprises qui altèrent mon idée préconçue du métrage final.
La pellicule est souvent associée au passé, mais j’aime à penser que dans un futur lointain, quand les hommes n’auront aucune idée de ce que contiennent ces boites de stockage de données numériques, qui seront de toute façon obsolètes alors, ils se saisiront des films, les regarderont à travers une source de lumière et comprendront immédiatement de quoi il s’agit.
La lumière vive d’un projecteur rudimentaire sera produite par une dynamo et dans les cités englouties, le cinéma renaitra."
— Ben Rivers
in Film - Tacita Dean (Tate, 2011)
(Traduction © Bertrand Grimault)
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Bernard Charbonneau, un précurseur bordelais de la décroissance
Un décroissant des années 30
Bernard Charbonneau est né à Bordeaux en 1910 et a grandi au sein d’une famille bourgeoise. Élève indiscipliné, puis étudiant brillant, étouffant en ville, passionné de balades à pied et de pêche, dès son jeune âge il a eu la conviction que son siècle serait, en même temps et pour les mêmes raisons, celui du totalitarisme et du saccage de la nature. Dès 1935, il rédige avec son ami Jacques Ellul les Directives pour un manifeste personnaliste. Ce texte proposait, au nom d’un idéal de liberté et d’autonomie, une critique de l’idéologie productiviste et techniciste qui animait tout autant le libéralisme que le communisme et le fascisme et il concluait par un appel « pour une cité ascétique afin que l’homme vive». Charbonneau ne nous propose pas un retour en arrière et ne rejette pas tout progrès technique car pour lui il n’y a pas de liberté sans puissance. Toutefois, dans un monde fini, le développement indéfini de la puissance matérielle et de l’organisation sociale risque d’anéantir la liberté de l’homme.
En 1973, Charbonneau publie Le Système et le chaos. Critique du développement exponentiel. Il y dresse un inventaire des coûts du progrès qui va bien au-delà d’une critique de la seule économie capitaliste qui à ses yeux n’est qu’un produit d’une logique plus globale, celle du progrès technique, économique et scientifique accéléré, qui débouche sur la saisie totale du monde, humain aussi bien que naturel. Mais cette course aveugle au développement industriel et techno-scientifique engendre une désorganisation environnementale et sociale qui va confronter l’humanité à des tensions d’une gravité croissante. Or nous ne savons réagir que par la recherche de plus de puissance technique et de croissance économique, créant ainsi, pour sortir des difficultés présentes, plus de problèmes à venir.
Vers le totalitarisme industriel
Une organisation sociale fondée sur l’idée d’un développement indéfini nous expose à deux risques que Charbonneau résumait par deux principes : Un développement indéfini dans un espace-temps fini est impossible. Le développement accéléré conduit donc au chaos écologique et social. Plus la puissance grandit, plus l’ordre doit être strict : compte tenu de la puissance des techniques de tous ordres auxquelles individus et organisations peuvent accéder, pour éviter les désastres il faudra exercer un contrôle rigoureux des activités humaines et des territoires qui ne laisse rien de côté. La poursuite du développement accéléré appelle donc une organisation totale, si ce n’est totalitaire, de la vie sociale, collective et individuelle.
Comme Charbonneau l’écrivait en 1980 dans Le Feu vert, l’émergence de la problématique écologiste nous permettra-t-elle de résister aux tendances totalitaires du système techno-industriel ? Rien n’est moins sûr ! « Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire, dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance gèreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement » (p. 131). « En dépit des apparences, l’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite. […] la préservation du taux d’oxygène nécessaire à la vie ne pourra être assurée qu’en sacrifiant cet autre fluide vital : la liberté » (p. 93). L’œuvre écrite et les actions entreprises par Charbonneau sont l’expression du refus passionné d’un tel avenir.
Une œuvre à découvrir
Bernard Charbonneau a écrit une vingtaine de livres mais a eu beaucoup de mal à se faire publier, tant ses idées allaient à contre-courant des certitudes progressistes du moment. Ainsi L’État, qui analyse le phénomène totalitaire en termes de civilisation de sorte que l’idéologie politique de droite ou de gauche n’y est que secondaire, n’a pu être publié que près de quarante ans après sa rédaction. Le Jardin de Babylone, qui posait la question de la destruction de la nature par la société industrielle, n’a eu aucun succès. Aujourd’hui, on se rend compte que cette œuvre était prémonitoire : elle fait l’objet de rééditions et suscite l’enthousiasme de ses nouveaux lecteurs.
— Daniel Cérézuelle, Philosophe
Charbonneau, Bernard et Ellul, Jacques : Nous sommes des révolutionnaires malgré nous. Textes pionniers de l’écologie politique. 224 p. Collection Anthropocène. Seuil. Paris, 2014.
Charbonneau, Bernard : Le Système et le chaos ; Le Sang de la terre. Paris, 2012.
Charbonneau, Bernard : Le Feu vert, autocritique du mouvement écologiste. Pararangon, Lyon, 2009
Charbonneau, Bernard : Le Jardin de Babylone. Editions de l’Encyclopédie des nuisances. 2002