Une fois par mois au Cinéma Utopia, LES ÉPISODES se suivent mais ne se ressemblent pas.
Le court métrage expérimental, les films d’artistes et de plasticiens, le cinéma de recherche, sont rarement montrés en salles obscures en dehors des festivals spécialisés. Il s’agit par ce cycle de pallier à cette absence en réunissant thématiquement des œuvres qui échappent aux modes de production et de diffusion conventionnels, dans le but d’explorer des archipels cinématographiques peu connus. Ce sont des films couvrant une vaste étendue d’expressions et de pratiques audiovisuelles - de l’argentique au numérique, du cinéma d’animation au documentaire de création en passant par les infinies nuances de la fiction.
Chaque séance fait l’objet d’une présentation et propose un échange avec le public.


MARDI 23 MAI 2023 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 8€ ou ticket ab. Utopia




Marionetten de Boris von Borresholm (1964)




ÉPISODE 13 / LA VIE DES MARIONNETTES

—Dans les années 60, avec une intuition prémonitoire, l’écrivain Philip K. Dick interrogeait dans un de ses romans les plus célèbres, « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » (dont « Blade Runner » de Ridley Scott est l’adaptation à l’écran), la frontière trouble entre les êtres humains et les « répliquants », ces créatures artificielles faites à leur image, sensées être dénuées d’empathie mais en réalité douées d’émotion. Déjà la tradition romantique voyait un cœur d’horlogerie battre sous la carapace des automates, leur conférant un semblant d’humanité, et le « Turc mécanique », ce mannequin joueur d’échecs constitué de complexes engrenages, aura durablement mystifié au 18ème siècle ses adversaires jusqu’à ce que son opérateur de chair et de sang, dissimulé dans son habitacle, n’en soit délogé. À l’ère d’Internet, on nomme « Mechanical Turk » ce serial-cliqueur qui effectue manuellement des taches prétendument automatisées.

Dans ce contexte d’indétermination, la marionnette primitive (et ses avatars bipèdes - poupées, mannequins, robots humanoïdes, figures de synthèse), loin d’être frappée d’obsolescence, reste un support potentiel d’identification et d’émerveillement. Traversant néanmoins une crise existentielle à l’heure des progrès faramineux de l’intelligence artificielle, elle se demande : qui tire vraiment les ficelles, qui ordonne les pixels ?

Objet inerte, la marionnette est par essence manipulée pour créer l’illusion de la vie. Sa puissance expressive nait de l’animation et implique la complicité active du spectateur, convié à se projeter dans cet assemblage articulé fait de matériaux composites. Comme toute manipulation amène à de multiples versions du réel, la marionnette, par sa plasticité et sa faculté de transformation radicale, offre la clé de dimensions virtuelles, voire subversives. Elle est rarement innocente, et si on l’associe souvent à la satire et à la comédie, il arrive qu’elle provoque « un rire non dénué d’effroi » (Brecht).
Cette séance propose un petit tour de scène en neuf films très animés, où la « marionnette », dans un sens étendu, n’est pas toujours celle que l’on croit.

Le personnage du film de Boris von Borresholm, libéré des fils qui contraignaient ses gestes - et sa parole -, est la seule figure issue d’un théâtre « traditionnel » de marionnettes de ce programme, avec la fille au cœur préfabriquée de POLKA DOT, séduite par un marionnettiste versatile, là où BARBIE’S AUDITION met en scène la célèbre poupée aux prises avec un producteur de cinéma véreux lors d’un « casting sur canapé » à la fois ridicule et sordide.
Pour le virtuose Tchèque de l’animation, le surréaliste Jan Svankmajer, la condition humaine se résume cruellement à un amas d’argile qui, même finalement doué de vie, se retrouve opprimé dans un espace aux dimensions d’une maison de poupée.
La « marionnette » est davantage évoquée dans un sens métaphorique dans les autres courts métrages. PATHS OF G détourne une célèbre séquence des SENTIERS DE LA GLOIRE de Stanley Kubrick : un travelling arrière dans une tranchée pendant la première guerre mondiale, où chaque individu est réduit par traitement logiciel à une donnée numérique sur le « théâtre des opérations », soit un pion déshumanisé sur l’échiquier d’un combat absurde.
Chez Vladimir Kobrin, l’Homo Sovieticus, entré dans sa phase régressive après la chute du Mur, est comme un pantin frénétique découvrant un nouveau monde trépidant, dans un débordement d’inventions visuelles qui est la signature des artistes non-conformistes de la glasnost. Yves-Marie Mahé cultive la même tendance à mécaniser les acteurs pour les transformer en robots domestiques aux mouvements répétitifs, prisonniers d’une boucle temporelle. Inversement, c’est une intelligence artificielle qui assiste Claudia Larcher pour traiter 350 photos d’elle, depuis sa prime enfance jusqu’à l’âge de 24 ans tout en la vieillissant artificiellement. Les hybridations grotesques produites par les filtres d’édition d’images et les conversations menées avec divers chatbots posent la question de l’identité numérique, morcelée par les usages de terminaux et de plateformes multiples, entre disparition et recréation dans un flux constant. La parole de ChatGPT se substitue à la voix humaine, en une forme de ventriloquie. Qui pense, qui parle ? John Smith, avec THE GIRL CHEWING GUM, nous rappelle qui est le maitre : le metteur en scène. Dans une rue de Londres, sa caméra filme les passants et l’activité urbaine en plan-séquence sous son autorité quasi démiurgique : le quotidien, dans sa banalité, devient alors une fiction pleine de suspense et d’humour.


Tma/Svetlo/Tma de Jan Svankmajer (1989)

Au programme

MARIONETTEN de Boris von Borresholm (Allemagne / 1964 / n&b / 11 min. / VOSTFR)
PATHS OF G de Dietmar Offenhuber (Autriche / 2006 / coul. / 1 min. 30)
1991 TYT de Vladimir Kobrin (Russie / 1991 / coul. / 15 min.)
ON/OFF d’Yves-Marie Mahé (France / 2012 / coul. / 3 min.)
OBSCURITÉ, LUMIÈRE, OBSCURITÉ de Jan Svankmajer (Tchécoslovaquie / 1989 / coul. / 8 min.)
ME, MYSELF AND I de Claudia Larcher (Autriche / 2022 / coul. / 5 min. 30 / VOSTFR)
POLKA DOT d’Aleksandra Niemczyk (Pologne / 2020 / coul. / 10 min. / VOSTFR)
THE GIRL CHEWING GUM de John Smith (GB / 1976 / n&b / 12 min. / VOSTFR)
BARBIE’S AUDITION de Joe Gibbons (USA / 1995 / n&b / 13 min. / VOSTFR)

Durée de la séance : 1h20

PROGRAMME DÉTAILLÉ ICI

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Un programme de l’association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia, avec le concours de Light Cone (Paris), Sixpackfilm (Wien) et des artistes et cinéastes qui ont bien voulu nous confier leur film.

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