— Le court métrage serait-il au cinéma ce que la nouvelle est au roman ? Un précipité, une fulgurance, un jeu d’équilibre, un art de la concision ? Un mardi soir par mois au Cinéma Utopia, LES ÉPISODES vous proposent de vérifier cette hypothèse, palliant à la rareté de ce genre en soi dans les salles obscures, en dehors des festivals spécialisés. Il s’agit de réunir thématiquement des œuvres qui échappent aux modes de production et de diffusion conventionnels et d’explorer des archipels cinématographiques peu connus. Ce sont des films d’artistes et de cinéastes-plasticiens, des films-essais, des expérimentations couvrant une vaste étendue d’expressions et de pratiques audiovisuelles - de l’argentique au numérique, du cinéma d’animation au documentaire de création en passant par les infinies nuances de la fiction. Chaque séance présente une diversité de réalisations, mêlant films anciens et récents de toute nationalité, certains inédits en France, composant les chapitres d’un récit imaginaire au long cours.
MARDI 11 OCTOBRE 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement
Eric M. Nilsson, BRUTAL
ÉPISODE 6 / LE CINÉMA, AUTREMENT
— Il y a une certaine fascination à tenir entre ses doigts un fragment de pellicule cinématographique : d’emblée, une histoire se raconte dès qu’on porte le ruban filmique à une source lumineuse. De même, certains accidents, ou les débuts et fins de bobines, produisent des images à la beauté imprévue. Isolées d’une logique narrative, elles deviennent d’énigmatiques tableaux granuleux où pleuvent les rayures. En fait, il n’est pas si compliqué de faire un film en l’absence de moyens financiers. Le matériau est disponible dans des chutiers, sur une rondelle en plastique ou sur Internet, prêt à être coupé, collé, remonté.
Le détournement de sources préexistantes dans la production artistique est une pratique courante à l'ère de la reproduction numérique mais aussi une tradition avant-gardiste. Ces emprunts visent souvent à dépasser le matériau d'origine en lui conférant une nouvelle dimension, en donnant une seconde vie aux images. Ainsi Johann Lurf, avec TWELVE TALES TOLD, se joue des logos animés de douze sociétés de production cinématographique, les hachant et les entrelaçant en un générique total. La domination planétaire de la culture par le consortium des grands groupes nord-américains s’amalgame alors en une seule hyper-enseigne qui a pour nom : Hollywood.
Dans un esprit voisin, Volker Schreiner, avec HOLLYWOOD MOVIE, réunit un casting à faire pâlir tout producteur grâce à un montage virtuose. « Vous pouvez rendre n’importe quel film hollywoodien intéressant, si vous coupez le film plusieurs fois, si vous le remontez dans un autre ordre, si vous rallumez la lumière dans la salle et la radio en fond sonore. Vous pouvez aussi faire une projection sans film afin de contempler la poussière dans le faisceau de lumière », suggère l’artiste coréen Nam June Paik dans son texte « Film scenario », source d’inspiration de cette magistrale et drolatique leçon de cinéma expérimental.
Pour sa part, Emmanuel Piton a rassemblé l'ensemble de ses films Super 8 pour ne conserver que les images de fin de bobines. Sur la pellicule est gravé le mot « Exposed », un élément habituellement coupé au montage mais qui devient ici la matière première d’un collage de souvenirs épars. En double écran, défilent visages et paysages furtifs, en un dernier clin d’œil.
Grayson Cooke, AFTER | IMAGE
Et Grayson Cooke, remettant la main sur de vieilles archives photographiques personnelles et s’interrogeant sur notre obsession d’accumulation d’images et de mémoires stockées et souvent oubliées dans d’éphémères disques durs, procède à une ultime expérience en ayant recours à une série d'acides, de composés chimiques et d'agents oxydants sur ses propres négatifs et tirages argentiques : les images se tordent et se dissolvent sous nos yeux en d’étranges précipités.
A l’inverse de cette démarche de récupération qui s’apparente à du cinema povera, le réalisateur de documentaires Eric M. Nilsson s’est vu attribuer une confortable subvention du Swedish Film Institute dans le cadre du projet « Sverige 80 », censé soutenir la création de courts métrages de qualité. Il a donc pu disposer sans contrainte de matériel et de pellicule, lui donnant l’occasion de juxtaposer avec un humour provocateur une série d'images fixes et animées afin d’interroger, en voix-off, le processus même du tournage et la notion très subjective de « qualité » d’un film réalisé grâce à l’argent public.
Enfin, Morgan Fisher, qui fut monteur dans les années 70 chez Roger Corman pour des productions à petit budget, nous raconte des histoires captivantes de films. Non pas à propos de leur contenu mais de leur aspect physique, en tant qu’objets : amorces opérateur, photogrammes choisis, images trouvées, éléments de tirage en Technicolor… Ces fragments issus des poubelles de l’industrie cinématographique nous rappellent la matérialité subtile de ce support disparu qu’est la pellicule 35mm, supplantée par le numérique.
Au programme :
— TWELVE TALES TOLD Johann Lurf (Autriche / 2014 / couleur / 4 mn.)
— BRUTAL de Eric M. Nilsson (Suède / 1980 / couleur / 7 mn. / VOSTFR)
— AFTER | IMAGE de Grayson Cooke (Australie / 2020 / couleur / 10 mn. 40)
— HOLLYWOOD MOVIE de Volker Schreiner (Allemagne / 2012 / couleur / 7 mn.)
— EXPOSED d'Emmanuel Piton (France / 2017 / couleur + n&b / 6 mn. 40)
— STANDARD GAUGE de Morgan Fisher (USA / 1984 / 35 mn. / VOSTFR)
Emmanuel Piton, EXPOSED
* Le titre LE CINÉMA, AUTREMENT est emprunté à l'ouvrage de référence du regretté Dominique Noguez.
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Durée totale du programme : 64 minutes
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