Une fois par mois au Cinéma Utopia, LES ÉPISODES se suivent mais ne se ressemblent pas.
Le court métrage expérimental, les films d’artistes et de plasticiens, le cinéma de recherche, sont rarement montrés en salles obscures en dehors des festivals spécialisés. Il s’agit par ce cycle de pallier à cette absence en réunissant thématiquement des œuvres qui échappent aux modes de production et de diffusion conventionnels, dans le but d’explorer des archipels cinématographiques peu connus. Ce sont des films couvrant une vaste étendue d’expressions et de pratiques audiovisuelles - de l’argentique au numérique, du cinéma d’animation au documentaire de création en passant par les infinies nuances de la fiction.
Chaque séance fait l’objet d’une présentation et propose un échange avec le public.


JEUDI 23 FÉVRIER 2023 — 21H-23H
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement



Paolo Gioli, Quando l'occhio trema.




ÉPISODE 10 / 16MM MON AMOUR

— Le 12 février 1923, les laboratoires Kodak lancèrent sur le marché un nouveau format de pellicule acétate qui allait révolutionner l’histoire du cinéma : le 16 mm.
Le matériel de prise de vue, bien plus léger et maniable que le format 35 mm des studios, démocratisa l’accès à la réalisation, d’abord par la pratique amateur ; d’autre part, les projecteurs portables permirent la diffusion plus large des films, via le cinéma « éducateur » en milieu scolaire et rural et la multiplication des ciné-clubs. Puis, après la Seconde Guerre Mondiale, grâce aux stocks de caméras et de pellicule soldés dans les surplus de l’armée américaine, ce format économique contribua à l’émergence d’un cinéma parallèle, indépendant, ethnographique, direct ou « vérité », expérimental, underground, militant… Le 16 mm a ainsi essaimé dans le monde entier, initiant de nouvelles formes et un nouveau langage cinématographique dans une multitude de genres.
Pour célébrer ce siècle d’existence, ce sont l’expérimentation et les potentialités offertes par le support argentique qui seront mises à l’honneur. Les opérateurs seront dans la salle avec leurs instruments, au milieu des spectateurs, pour 2 heures de projections performatives, éclectiques et défrisantes.

Au programme :

GUY SHERWIN
AT THE ACADEMY

(GB / 1974 / 16mm / n&b / 4 min.)

Guy Sherwin explore depuis les années 70 une grande variété de concepts abstraits qu’il formalise par ses films et ses performances. AT THE ACADEMY est l’un de ses premiers essais, réalisé à une époque où il écumait les laboratoires en quête de chutes de pellicule. À partir d’un décompte opérateur littéralement récupéré dans une poubelle, deux tirages du même métrage, l’un positif, l’autre négatif, sont superposés et refilmés à différentes vitesses de défilement à l’aide d’une tireuse optique artisanale. Par la répétition de la boucle et l’accumulation de prises de vue, les couches d’images créent un effet de matière, produisant un phénomène visuel inattendu.
On nous avait pourtant dit que le Cinéma Utopia était garanti sans 3D…

MEREDITH MONK & ROBERT WITHERS
16 MILLIMETER EARRINGS

(États-Unis / 1980 / couleur / 25 min.)

Merit Award, Dance Film Festival, New York, 1980

L'artiste nord-américaine Meredith Monk est douée de nombreux talents : compositrice-interprète, chorégraphe, metteuse en scène et actrice, elle a créé plus d'une centaine d'œuvres depuis 1964. La performance de  16 MILLIMETER EARRINGS  date de 1966, où elle fut donnée les 5 et 6 décembre à la Judson Memorial Church, lieu emblématique à New York de l’émergence d’une nouvelle génération de chorégraphes et de performers. C’est une pièce charnière dans la production naissante de Meredith, pensée comme un environnement global intégrant théâtre d’objets, musique vocale et instrumentale, textes, sons enregistrés et lumière. Des séquences filmiques sont projetées en direct sur scène. Cet ensemble visuel, sonore et poétique est un prototype interdisciplinaire qui ouvre alors de nouvelles voies.
Une décennie plus tard, l’artiste s’associe au cinéaste Robert Withers pour les besoins d’un film reprenant les bandes sonores et les éléments scénographiques originaux, afin de reconstituer quasiment à l’identique l’œuvre initiale. Sorti en 1980, le film rencontra un grand succès en festivals. Nous avons le plaisir de ressortir cette pièce magique de sa boite, le temps d’une séance unique.
Le thème principal en est la transformation des fonctions humaines en fonctions mécaniques - les voix se muent en bruits, les émotions sont réduites à l'état de masques.

PAUL CLIPSON
TROIS FILMS :
UNION / ANOTHER VOID / CHORUS

(États-Unis / 2009-2012 / couleur / environ 15 min.)

Cinéaste expérimental de San Francisco attaché irréductiblement au support argentique, Paul Clipson explorait le processus manuel de montage in-camera avec une Bolex 16mm mécanique, permettant de rembobiner le film lors de la prise de vue et de créer de multiples strates d’images. Par cette manipulation, parfois jusqu'à six plans distincts se condensent et se dissolvent au sein d'un même photogramme. C’est un véritable travail d’orfèvre qui puise dans la tradition avant-gardiste des symphonies urbaines, tout en recourant à une abstraction aux relents lysergiques rappelant les grandes heures du cinéma psychédélique. Il en résulte une expérience hautement immersive, où les textures sonores - signées Fennesz, Félicia Atkinson, Grouper, Jefre Cantu-Ledesma ou Lawrence English pour ne citer qu’eux - jouent un rôle primordial.
Orphée rencontre l'oiseau au plumage de cristal dans ce voyage visuel vertigineux et captivant, où tout miroite, scintille, explose comme dans un rêve éveillé.

— Paul Clipson était venu présenter ses films le 16 juin 2016 à Espace29 à Bordeaux, sur l’invitation de Monoquini. Il est mort soudainement à San Francisco le 3 février 2018 à l’âge de 53 ans. Nous lui rendons hommage avec trois de ses courts métrages qui seront projetés sous la forme d’une fresque mouvante.

PAOLO GIOLI
QUANDO L’OCCHIO TREMA

(Italie / 1989 / n&b / 11 min.)

Peintre, lithographe et sérigraphe, puis photographe et cinéaste, Paolo Giolo (1942-2022) a élaboré un vaste corpus revisitant les arts photochimiques au travers de techniques artisanales de prise de vue et de tirage. Son œuvre se situe entre néo-pictorialisme, de par ses références à la photographie des origines, et une forme de cinéma résolument expérimental puisant parfois dans les avant-gardes des années 20 et 30 qu’il revitalise par des dispositifs inédits, nous plongeant dans une immense camera obscura. Ainsi, le troublant QUANDO L’OCCHIO TREMA, avec ses multiples références à UN CHIEN ANDALOU (l’œil, la lune), se veut un hommage à Luis Buñuel.

film accompagné en direct par

WILLIAM PAOLOZZI
Guitare électrique et poésie massive

À l'épicentre de l'organique
Donner un autre espace au film par le son
Puissance du relief
Battement de paupières au dessus d’un œil affolé
Le nuage tranchant une lune de sang.

FILM BASE
FELLINI G. MASTORNA

(France / 2007 / n&b + couleur / 31 min.)
Labo : Atelier MTK
Avec Philippe Kopp, Yannick Jeudi, Adilia, Linda Roux, Abiba Zerarga, Marion Villemagne, Gaëlle Joly, Christophe Vailatti, Karine Dufour, Laurent Delage.

En 1965, Federico Fellini imagine avec la complicité de l’écrivain Dino Buzzati un scénario qui rejoindra, après de multiples péripéties, la longue liste des films maudits, perdus, invisibles : IL VIAGGIO DI G. MASTORNA (Le Voyage de G.Mastorna). C’est l’histoire inachevée d’un célèbre violoncelliste, interprété par Marcello Mastroianni, qui se retrouve dans une ville d’Europe du Nord après l’atterrissage forcé de l’avion l’emmenant en tournée. Le film aurait suggéré que l’action se déroule dans l’au-delà, Mastorna ayant été tué dans le crash. Malgré les décors construits à Dinocittà, Fellini, de déraillements en dépressions, ne laissa de ce projet que des bouts d’essai et un story-board, que Milo Manara utilisa en 1992 pour en faire une bande dessinée.
Il y a des fantômes de film qui n’attendent qu’un sang neuf pour réapparaitre fugitivement, à l’insu des producteurs et des paparazzis. Ainsi, le duo stéphanois de Film Base (Olivier Dutel & Gaëlle Joly) réinvente littéralement le film manquant de Fellini à partir des notes qu’il a laissées. La projection en double écran s’imagine dans la tête du Maestro avant, pendant et après ce combat. C’est une enquête filmée en studio, développée artisanalement : une multiplication effrénée d’instantanés de tournages et d’archives magiques.

RIOJIM
GOLDMAN CRASH

(France / 2018 / couleur / 9 min.)
Production : Atelier MTK

Godzilla vomit sur l’écran 20 ans de blockbusters hollywoodiens frelatés dans un grand râle sexuel qui fait s’effondrer les tours jumelles du World Trade Center, signe cabalistique annonciateur de la Crise des subprimes. Ah, si l’armée n’avait pas jetée des produits toxiques dans la rivière. Un film supersonique.

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Une cérémonie conçue dans les chaudrons de l’association Monoquini avec la complicité des artistes et cinéastes, en partenariat avec le Cinéma Utopia.