Une fois par mois au Cinéma Utopia, LES ÉPISODES se suivent mais ne se ressemblent pas.
Le court métrage expérimental, les films d’artistes et de plasticiens, le cinéma de recherche, sont rarement montrés en salles obscures en dehors des festivals spécialisés. Il s’agit par ce cycle de pallier à cette absence en réunissant thématiquement des œuvres qui échappent aux modes de production et de diffusion conventionnels, dans le but d’explorer des archipels cinématographiques peu connus. Ce sont des films couvrant une vaste étendue d’expressions et de pratiques audiovisuelles - de l’argentique au numérique, du cinéma d’animation au documentaire de création en passant par les infinies nuances de la fiction.
Chaque séance fait l’objet d’une présentation et propose un échange avec le public.


MARDI 31 JANVIER 2023 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement



Peter Tscherkassky, Outer Space




ÉPISODE 9 / TURBULENCES

Séance en présence de Jean-Claude Ruggirello

— Esprits frappeurs ou esprits frappés ? Folie passagère ou lent processus de dérèglement ? Ou bien radicalement : quelque chose doit sortir. Doit être brisé. Confiné, l’espace domestique devient soudain un aquarium ; l’air s’y comprime. Les objets acquièrent une vie propre. La rumeur du monde mental s’amplifie et se mêle aux sons du dehors en un seul vacarme. L’architecture familière se tord et se déchire, le mobilier ploie et se fend comme du verre. Chacun des quatre films de ce programme possède sa petite voix intérieure qui gonfle, explose, dénonce une forme d’oppression et dévoile une réalité subversive. Elle se traduit par des éclats de folie, des éclairs de lucidité. Les masques tombent, quitte à ce que la « norme » appelle la « raison », bascule.

À l’origine de VOM STERNESCHNEUTZEN, film inénarrable et que nous ne chercherons pas à décrire ou expliquer, il y a une lointaine croyance populaire, selon laquelle les amas gélatineux de l’algue Nostoc le long des plages résulteraient de l'expectoration visqueuse des étoiles. La tradition alchimique y voyait du « sperme astral » dont la chute vers la terre était visible les claires nuits d’été. Sur le mode de la fable, les « étoiles filantes » du titre deviennent ici les images projetées qu’on ne peut ni saisir, ni retenir, prétexte à une série de saynètes mêlant le merveilleux et le grotesque.

Après cette énigmatique introduction, BRUITS DE FOND décide de faire table rase. Dans l’espace restreint d’un appartement au centre duquel tourne un arbre suspendu, un unique personnage se livre à diverses actions en dehors de toute logique ou préméditation. L’espace est peut-être un atelier, où un type aux faux airs de Buster Keaton poursuit des recherches, démonte, assemble, confronte, conteste l’ordre commun des choses par l’absurdité.

Dès les premières images de OUTER SPACE, s’immisce l'impression d'un film d'horreur, d’un danger qui guette. Dans le regard de la caméra légèrement oblique surgit d'un noir profond dans une lumière irréelle une maison. Une jeune femme s'en approche lentement et y pénètre. Un film hollywoodien sert de base à ces images recyclées : L’EMPRISE (THE ENTITY), de 1982, signé Sidney J. Furie. La silhouette qui traverse le plan silencieusement, puis sera bientôt projetée à travers le cadre, est l’actrice Barbara Hershey. Par un nouveau traitement du matériel, Peter Tscherkassky amplifie la dimension dramatique du récit initial, où une femme est victime dans sa propre maison d’agressions répétées par une force invisible. Soudain, des éléments étrangers pénètrent l’image et bouleversent le montage : perforations de la pellicule 35mm, piste sonore optique, fragments déchirés de photogrammes… Les éléments constitutifs du support filmique apparaissent dans le champ, les espaces se chevauchent, les images sortent de leur gond. Harcelée, la protagoniste fait littéralement exploser ce carcan qu’est le cadre du récit pour s’en libérer. Véritable film-poltergeist, classique instantané, OUTER SPACE opère une déconstruction spectaculaire et unique dans l'histoire du cinéma.

A COLD DRAFT de la réalisatrice britannique Lis Rhodes secoue et brise l’illusion du sentiment de justice et de sécurité dans le contexte ultralibéral du Royaume-Uni des années 80 sous le gouvernement Thatcher, et qui se perpétue de manière inique de nos jours, au travers de la gestion chaotique du post-Brexit. Nous voyageons à l'intérieur du crâne d'une femme, une « résistante » déclarée folle par d’invisibles « censeurs », qui observe la prédation progressive des espaces publics par le rouleau-compresseur du capital et la destruction inéluctable du « vivre ensemble ». Dans ce film exigeant et fascinant, la voix off de la narratrice accompagne les images dessinées et les paysages urbains qui se dissolvent les uns dans les autres pour former un monde halluciné en perpétuel changement, où se perdent les points de repère habituels de la collectivité.

Au programme :

VOM STERNESCHNEUTZEN - Karola Schlegelmilch (Allemagne / 1993 / couleur / 12 min. / VOSTFR)
BRUITS DE FOND - Jean-Claude Ruggirello (France / 2009 / couleur / 19 min.)
OUTER SPACE - Peter Tscherkassky (Autriche / 1999 / projection 35mm / n&b / 10 min.)
A COLD DRAFT - Lis Rhodes (GB / 1988 / n&b + couleur / 28 min. / VOSTFR)

Durée du programme : 69 minutes