GORDON MATTA-CLARK
(1943-1978)

Par sa démarche, Gordon Matta-Clark tente de révéler les structures les plus intimes de l'architecture et de dévoiler ses secrets, en subvertissant son vocabulaire, en transgressant ses limites conventionnelles pour en balayer les métaphores les plus éculées. Il utilisait des maisons sur le point d'être démolies et le squelette de bâtiments abandonnés afin de créer des "ruines" déconstruites qui révèleraient des significations cachées, qu'elles soient architecturales ou anthropologiques. Il était convaincu qu'un édifice dans son entier, possédait un caractère moins emblématique et une signification moins allégorique qu'une ruine.
SPLITTING, son intervention sur une maison d'un quartier résidentiel pauvre de New York, s'avère emblématique : une coupe de 2,5 cm à travers toutes les surfaces de l'édifice, le partageant en deux ; une réduction des fondations afin de rabaisser l'arrière de la maison de 30 cm ; la fissure centrale est produite par une inclinaison de 5 degrés, "activant" la maison d'un rayon de soleil traversant.
Avec ce type d'intervention, Gordon Matta-Clark met à jour des couches d'informations initialement invisibles, l'histoire de la construction et la stratification dissimulée à l'œil du spectateur.
Par ce geste de déconstruction, il invoquait une sorte de dialectique négative par la soustraction, par la création d'une ruine.

En fragmentant ou divisant l'architecture, Gordon Matta-Clark réalisait des "anti-monuments" avec l'intention revendiquée de reconstruire une mémoire subversive camouflée derrière la façade architecturale et sociale.
Il s'agissait d'exposer les conceptions de la propriété et du cloisonnement, de la segmentation de l'espace auquel l'environnement urbain est assujetti.
Il était fasciné par l'idée de transformer l'esthétique close par nature de l'architecture, et d'incorporer une nouvelle dynamique, une relation entre le vide et l'environnement. Ces questions furent simultanément posées lors d'une intervention intitulée CONICAL INTERSECT, en 1975, lors de la Biennale de Paris, et réalisée sur l'ilot Beaubourg en voie de destruction, sur le chantier du Centre Georges Pompidou.
Dans deux maisons du 17ème siècle destinées à être détruites, il découpa un trou de 4 m de diamètre, à un angle de 45° depuis la rue, qui faisait office d'un périscope sur l'activité environnante, sorte de monument anonyme contre la destruction du centre historique de la ville.
Avec ce type d'intervention, Matta-Clark encourageait l'idée de l'espace comme noyau entre le passé et le présent, comme coexistence entre la vie et la mort.

Extraire, découper, déconstruire : une sorte de déclaration de guerre contre les conventions de la pratique professionnelle de l'architecture.
Détruire plutôt que construire revient à inverser la doctrine fonctionnelle de l'architecture.
Cette posture tendait à souligner la nature éphémère de tout édifice, quelque chose d'assez difficile à accepter pour une profession tendant à atteindre une forme de pérennité, voire d'éternité.
Une controverse éclata quand il effectua des découpes en forme de barque dans un bâtiment de cinq étages du centre d'Anvers, perçant le plancher sur toute la hauteur de l'édifice, par un jeu d'extractions semi-circulaires à chacun des étages : il s'agit d'OFFICE BAROQUE (1977).
Ses atteintes à l'architecture tendaient à étudier les restrictions urbaines, car l'artiste n'était pas intéressé par les structures en soi mais par la fonction sociale jouée par l'architecture.
L'intention de Matta-Clark n'était pas de détruire des maisons ou des immeubles, mais de réévaluer tous ces espaces, qu'il qualifiait de "négatifs", ces fragments d'espaces délaissés, abandonnés, déclassés, ignorés.
A cette fin, il n'a rien fait de moins que de faire ressurgir les espaces oubliés et cachés de la ville, par une subversion complète du langage architectural. C'est dans ce contexte qu'il a proposé sa vision du sous-sol, en explorant les caves, les profondeurs des bâtiments, les fondations, dans l'intention de creuser une brèche et de connecter les niveaux inférieurs et supérieurs, le sous-sol et le ciel, reflétant son intérêt pour le symbolisme de l'alchimie.
Jusqu'à sa mort en 1978, Gordon Matta-Clark a créé un ensemble artistique constitué de films, de photos, de collages, d'interventions tendant à redéfinir l'architecture comme un environnement, de la même manière qu'il souhaitait redéfinir notre perception d'éléments aussi familiers que le mur, la fenêtre, la porte, l'escalier...

La création en 1973 du groupe ANARCHITECTURE reflète cette alternative aux concepts de l'architecture traditionnelle. Gordon Matta-Clark précisait qu'en fait son travail impliquant l'architecture exprimait une "non-architecture", plus pensée en terme de vide, d'interstices, d'espaces vacants, inutiles, de zones sous-développées, dont la valeur métaphorique repose sur le fait que ces espaces ne nous intéressent pas pour leur usage éventuel.

Extrait du cycle de conférences N.E.W.S. (2013)
© Bertrand Grimault