DAN GRAHAM
(1942-2022)

Depuis le début de sa carrière, l'artiste nord-américain Dan Graham a montré un fort intérêt pour l'architecture, son contexte et son contenu. Il a écrit des articles sur Robert Venturi et la relation entre art et architecture, a conduit des projets de nature architecturale (Gordon Matta-Clark Museum, 1984 et The Children Pavillion avec Jeff Wall, 1989), conçu des pièces pour des environnements spécifiques (comme la terrasse du musée d'art moderne de San Francisco).
Mais par dessus tout, son intérêt pour le contexte urbain l'a amené à développer une vision critique du concept de ville, de communication et la place que l'individu occupe dans son environnement.
Avec ses œuvres, Graham voulait rompre avec la théorie de la perspective héritée de la Renaissance, selon laquelle le point de vue du spectateur est unique et unidirectionnel.
Cela l'a conduit à une transformation de l'idée de la formation de la perception et du savoir, ainsi qu'à une modification des conditions des interactions sociales, à l'intérieur de la trame plus traditionnelle d'analyse de la façon dont les autres nous perçoivent et pensent de nous.
Évoquons trois œuvres significatives de Dan Graham parmi sa production artistique étendue.

La première est une série de photographies réalisée dans le New Jersey en 1966 qui, en phase avec la démarche minimaliste typique, montre des alignements de petites maisons disposées comme des camions ou des boites dans un entrepôt, des éléments identiques organisés en séquences linéaires.
Il s'agit d'une critique voilée des formes aliénantes du réseau urbain des banlieues américaines, tout en jetant un regard ironique sur l'approche minimaliste de l'époque (rappelant les sculptures sérielles de Donald Judd et son essai, "Specific Objects" de 1965) dénuée d'idéologie et d'apparence clinique.
Graham clamait que le fonctionnalisme en architecture et le formalisme esthétique était philosophiquement du même ordre, ils ont en commun la croyance sous-jacente chez Kant de la forme artistique comme "quelque chose en soi". L'art minimal et l'architecture fonctionnelle renient tous deux une portée, une connotation sociale, ainsi que le contexte environnant de l'art et de l'architecture.
Ces photos, situées dans un contexte connoté sur le plan social et politique à la frange des villes, les banlieues n'étant pas un sujet d'étude et de réflexion pour les intellectuels de l'époque, soulignent la notion de passivité en proposant une interprétation du paysage social comme un scénario pré-établi, comme un système de signes communs, quoique vides, pour interroger la question de l'identité.

Durant les années 60, Dan Graham a mené un certain nombre d'interventions artistiques dans divers magazines d'art où il concevait la page comme un mur potentiel de galerie, tout en rendant son travail plus accessible à un plus grand nombre.
Nous retiendrons le projet intitulé HOMES FOR AMERICA, publié dans Arts magazine en décembre 1966 et janvier 1967. Il s'agit d'un article autour de diapositives prises sur une durée de deux ans, sur un projet de construction de logements dans une zone périphérique. Ces photos sont présentées comme éléments d'une composition générale au sein de l'article. Le texte et les images se répondent réciproquement et de façon particulière selon le choix de lecture. L'article qui se présente comme une œuvre en soi, analyse les éléments structurels du développement urbain dans les banlieues américaines, et est une critique de ces maisons standardisées comme des containers qui poussaient alors comme des champignons sur le territoire des USA, le prototype de la maison-modèle désirée par Mr et Mme toutlemonde après la seconde guerre mondiale.
De discrètes petites cellules ne créant aucune notion de communauté, construites en série selon des motifs prédéterminés à de larges échelles uniformes.
L'article mentionne huit modèles type, avec un choix de huit couleurs - rangées de maison dans un ordre imperturbable, évoquant les Incomplete Cube Series de Sol Levitt, produisant un phénomène urbain gris et monotone sans prise avec l'environnement immédiat.

Autre projet significatif qui est resté à l'état de maquette : Alteration to a suburban House (1978). La maison familiale typique est transformée avec une façade en verre, révélant son intérieur au passant, comme s'il s'agissait d'une vitrine, et introduisant le "voyeur" au centre de l'habitat par le biais d'une grande cloison en miroir. Les notions d'intérieur et d'extérieur, de privé et de public, sont brouillées, révélant les aspects sociaux et archétypaux de ce genre d'habitat, tout en rappelant certaines maisons du mouvement moderniste, comme The Farnsworth House de Mies van der Rohe 1951) ou The Glass House de Philip Johnson (1949), situées dans des zones isolées, dans un éloignement aristocratique, loin des regards indiscrets précisément, dans l'idée d'une fusion idyllique avec la nature environnante. Chez Graham, au contraire, le voisin devient spectateur, et implique l'angoisse d'être observé à la nuit tombée. Graham choisit les mêmes matériaux pour souligner avec ironie les mécanismes de contrôle et d'aliénation dans la ville contemporaine pour délivrer l'espace personnel et l'identité.

Extrait du cycle de conférences N.E.W.S. (2013)
© Bertrand Grimault