DIMANCHE 10 DÉCEMBRE 2023 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 8€ ou Ticket abonnement


LA MARIÉE SANGLANTE
(LA NOVIA ENSANGRENTADA)

Un film de Vicente Aranda
Espagne / 1972 / couleur / 1h40 / VOSTFR
Scénario de Vicente Aranda d’après Carmilla de Sheridan Le Fanu (1872)

Avec Maribel Martín, Simón Andreu, Alexandra Bastedo

Film interdit au moins de 16 ans

Séance présentée par Loïc Diaz Ronda, codirecteur du festival Cinespaña (Toulouse) et spécialiste du cinéma espagnol.

— Jeunes mariés, Susan et son époux se rendent dans le manoir familial pour leur lune de miel. Dans cette campagne reculée et austère, Susan éprouve rapidement le sentiment que son mari cherche à la séquestrer et à l’humilier. Après avoir fortuitement découvert dans une remise le portrait de Mircala Karnstein, une ancêtre qui, deux siècles auparavant, aurait sauvagement poignardé son mari lors de sa nuit de noces, Susan est visitée en rêve par une mystérieuse dame voilée. Nuit après nuit, celle-ci l’incite à la rejoindre, loin de l’emprise des hommes. Quand un jour une femme amnésique, qui croit répondre du nom de Carmila, est recueillie dans la demeure, la frontière entre le monde onirique et la réalité se dissout…

En adaptant librement l’histoire de femme vampire de l’Irlandais Joseph Sheridan Le Fanu (qui précède de 25 ans le célèbre Dracula de Bram Stoker publié en 1897), Vicente Aranda ne signe pas seulement un classique de ce qu’on a nommé le fantaterror, ce genre hybride mêlant horreur et fantastique mâtiné d’érotisme qui fut une composante importante du cinéma populaire espagnol entre 1968 et 1976, avec plus de 200 films produits. Le réalisateur affilié à « l’École de Barcelone » (courant contestataire inspiré par la Nouvelle Vague et empreint de recherche formelle) se saisit assurément, dans le contexte de la dictature franquiste, de la dimension métaphorique que lui offre un récit fantastique pour y ajouter une portée critique. Entre Las Crueles (1969), un néo-Giallo atmosphérique où les femmes entretiennent des relations équivoques, et Cambio de Sexo (1977) où la toute jeune Victoria Abril incarne un transexuel, La Novia Ensangrentada dépasse le simple cahier des charges d’un film Bis et brouille encore une fois, c’est le cas de le dire, les genres.

Par l’actualisation du thème de l’envoutement cher au roman gothique, tout en en puisant dans la tradition picturale de l’ « Espagne Noire » (Bécquer, Goya, Regoyos), Aranda s’attache à représenter le trouble d’une femme face à la découverte de sa sexualité et s’attaque frontalement à la figure du macho ibérique promue par une société patriarcale irréductiblement sexiste. Il retient de même le caractère saphique de la relation entre Susan et la magnétique Carmilla qui était un trait dominant de la novella de Le Fanu et de ses précédentes adaptations cinématographiques, depuis Et mourir de plaisir de Roger Vadim (1960) jusqu’à la "Karnstein Trilogy" de la firme britannique Hammer. Cependant ici, pas de langoureuses étreintes mais la volonté d’en finir avec la domination masculine, avec un mode opératoire que n’aurait pas renié Valérie Solanas, l’auteure du brulot Scum.

On serait tenté de dire que le véritable sujet du cinéma d’horreur en général est la reconnaissance de tout ce que la civilisation refoule et réprime. La censure de l’état fasciste et de l’église catholique, veillant au grain de la sainte trinité (patrie, famille, religion), sans doute essoufflée en cette ultime décennie de dictature, n’aura t-elle retenu que le caractère a priori inoffensif d’un film fantastique et permis en 1972 son exploitation sur les écrans espagnols, elle sera passée à côté de la dimension subversive d’une œuvre d’une grande singularité dans le cinéma de genre de l’époque et qui conserve aujourd’hui encore son intense pouvoir de séduction.

— Bertrand Grimault

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia et le Festival Cinespaña, avec le concours de Egeda.
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