SCREEN TEST #8
cinémas de traverse
JEUDI 20 FÉVRIER 2020 / ERRATUM : 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian — Bx
Entrée : 7€ ou ticket d'abonnement Utopia
— Screen Test est un cycle initié par l’association Monoquini dans le sillage des autres rendez-vous cinématographiques qu’elle propose tout au long de l’année au Cinéma Utopia (Lune Noire) ou dans d’autres lieux partenaires (notamment la Bibliothèque Mériadeck qui accueille en 2020 Ciné16, un nouveau cycle de projections en format pellicule 16mm).
Screen Test, un terme de casting qui consiste à réaliser une audition et qui pourrait se traduire par « bout d’essai », se réfère ici explicitement à la série de portraits réalisés par Andy Warhol à la Factory entre 1964 et 1966, exemple emblématique d’un underground voué à l’expérimentation, témoignage de la scène artistique new-yorkaise d’alors, qui, de marginale, est devenue centrale en marquant profondément la culture populaire occidentale jusqu’à nos jours.
Le cycle Screen Test, qui en est à sa septième apparition, après avoir essaimé dans divers lieux de la métropole, est aujourd’hui accueilli par le Cinéma Utopia pour creuser le sillon d’expériences filmiques hors du commun, appartenant à cette vaste famille que nous nommons les cinémas de traverses.
Films orphelins, films oubliés, films d’éclaireurs. Chaque année, et depuis l’invention du cinéma, des œuvres naissent, rayonnent le temps d’une séance, et retournent à l’obscurité. Ils sont parfois bien beaux, ces films qui renouent avec le sens véritable de l’art et de l’essai, en travaillant la matière même de l’image et en tirant de nouveaux fils narratifs. On peut appeler cela du cinéma expérimental, des films d’artistes, du documentaire de création si l’on veut. Depuis plusieurs décennies, les frontières entre les pratiques et les genres s’estompent, et il en émerge des formes hybrides, inclassables, étonnantes qui constituent le cinéma contemporain.
C’est la vocation de Screen Test que de vous convier à découvrir chaque mois une de ces œuvres atypiques.
Programme :
LES GRANDS SQUELETTES
Scénario, image, montage de Philippe Ramos
France / 2018 / coul / 1h18
Avec Melvil Poupaud, Jacques Bonnaffé, Mélodie Richard, Jacques Nolot, Rémy Adriaens, Pauline Acquard, Lise Lamétrie, Hovnatan Avédikian, Anne Azoulay, Françoise Lebrun, Jean-François Stevenin, Alice De Lencquesaing, Denis Lavant.
À Paris, au printemps, des femmes et des hommes se perdent dans leurs pensées au hasard des heures du jour et des rues de la ville. De cette soudaine intimité, les murmures de leur petite voix intérieure nous laissent entendre les inquiétudes de l’amour et du désir.
« J’ai voulu construire une constellation de pensées, un ensemble de monologues intérieurs. Cette démarche, quasi politique, visait à mettre à mal la place du héros, du personnage principal et donc, à donner de manière égalitaire, la parole à tous : femmes, hommes, jeunes, vieux, homos... Peu importe ce qu’ils étaient, à mes yeux c’étaient simplement des êtres humains dont je voulais faire entendre l’intimité. Cette part intime, je lui rends ici hommage et je la mets en valeur jusque dans ses fragilités même, parce qu’elle est véritablement, pour reprendre un terme d’actualité, une "zone à défendre " face à un système économique et social ravageur dont nous sommes déjà en grande partie victimes. J’ai commencé le travail d’écriture en réunissant de très nombreuses images. Je m’inspirais d’elles pour écrire les pensées d’un personnage. C’était un travail difficile, parce qu’il fallait chaque jour se plonger dans les pensées intimes de quelqu’un chez qui je trouvais souvent des angoisses, des doutes, des douleurs amoureuses... De tout cela, est né ce film des inquiétudes, reflet de notre temps inquiet. » Philippe Ramos
Depuis son premier court métrage, MADAME EDWARDA, placé sous la tutelle de l’écrivain Georges Bataille, suivi de ADIEU PAYS (2002), CAPITAINE ACHAB (une libre adaptation de Moby Dick d’Herman Melville, 2007), JEANNE CAPTIVE (une relecture anachronique de Jeanne d’Arc, 2011) et FOU D’AMOUR (s’inspirant de l’affaire du curé assassin d’Uruffe, 2015), le réalisateur originaire du Vaucluse tisse discrètement une œuvre à contre-courant dans le paysage du cinéma français.
Empruntant au procédé initié par Chris Marker avec LA JETÉE, où le récit se déroule en voix-off sur une succession d’images fixes ou imperceptiblement mouvantes, Philippe Ramos s’inspire ici des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes pour déployer treize monologues intérieurs sous forme de chapitres indépendants — une démarche radicale qui peut être rattachée plus largement au domaine littéraire, rappelant le flux de conscience qui parcoure les pages de Virginia Woolf ou de James Joyce.
En gommant les sons environnants et les trépidations du monde extérieur, en nous laissant avec les seules pensées et les regards de chacun des personnages, issus de l’observation au quotidien dans la ville, les transports en commun, les lieux d’attente…, les images suspendues nous font pénétrer la psyché de ces individus, songeant en solitaire à l’être aimé, ou à son absence, déclinée en divers modes de séparations, d’abandons, de frustrations.
Du fait de son dépouillement formel et de par sa fragilité, le film atteint un degré d’intimité et de profondeur rare de l’ordre de la confidence et propose une plongée introspective proche de l’expérience psychanalytique. Les personnages se disent à eux-mêmes ce qu’ils ne peuvent montrer aux autres : la partie monstrueuse et cachée de leur être.
« Dans un environnement aujourd’hui saturé d’images, de sons, de paroles, de vitesse, nous repartons d’un endroit où les paroles ne seraient pas encore dialogue, où les bruits du monde seraient un temps oubliés, où le silence et l’immobilité reprendraient leurs droits et leur beauté », nous explique encore Philippe Ramos.
Soumise au rythme fluctuant et secret de la conscience, la vie rêvée de ces « grands squelettes » trace la trajectoire de nos petites et grandes solitudes.
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Remerciements : Alfama Films, Chloé Cavillier.