MICROSTORIES # 1



Séance unique
JEUDI 18 OCTOBRE à 20h30
CINÉMA UTOPIA
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 6 € / abonnés 4, 50 €


LE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN
(David Holzman's Diary)
un film de Jim McBride

(USA / 1967 / format original 16mm - projection vidéo / n&b / vostf / 1h13)




Pour mieux comprendre sa vie et puisque selon Godard, "le cinéma c’est 24 fois la vérité par seconde", David Holzman, apprenti cinéaste dans le New-York des années 60 commence son journal filmé. Revoir le film de sa vie, pense t-il, lui permettra peut-être d’en saisir le sens. Mais il va vite réaliser que l’omniprésence de la caméra dans son quotidien n’est pas sans conséquence sur sa relation aux autres et sur le cours de son existence.


Tourné en 1967 avec très peu de moyens, Le Journal de David Holzman fait date dans l’histoire du cinéma.
Le geste est assez important pour faire entrer le film au Registre National du Film de la Library of Congress, liste d’œuvres clés du 7ième art. Précurseur du genre « documenteur », les premiers spectateurs y distinguent mal ce qui relève du documentaire et de la fiction. Passerelle entre les genres, réflexion sur l’altération du réel par l’acte de filmer, Jim McBride livre un film à la fois réflexif et léger, sensuel et cérébral.


Quarante ans après sa réalisation, le film ne cesse d’être étudié et redécouvert. Il s’agit d’un des premiers (le premier ?) films de fiction qui cherche pleinement à se faire passer pour un documentaire en égrainant tous les indices du genre. Si le procédé du « faux documentaire » nous paraît aujourd’hui commun et a participé à la singularité ou au succès de films aussi divers que L’Ambassade (Chris Marker), Punishment Park (Peter Watkins), F for Fake (Orson Welles), C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel & Benoît Poelvoorde), Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sánchez) ou dernièrement Faites le mur ! (Banksy), Le Journal de David Holzman reste précurseur du genre et l’un des plus subtils, parce que l’artifice se double toujours d’une réflexion sur le cinéma.


À l’apogée du cinéma direct, Jim McBride avait voulu en réaliser un exercice critique, montrer que le documentaire restait une affaire de mise en scène et de point de vue, en somme qu’il fallait toujours se méfier de "ce qui fait vrai", de l’apparente objectivité du caractère enregistreur de la caméra. Ironiquement, le David Holzman du film affirme, en hommage à Godard, que «le cinéma c’est la vérité 24 fois par seconde»… ce qu’en fait le film met un soin pervers à démentir. La grande force du film est aussi de réfléchir sur la dimension voyeuriste du cinéma, sur ce qu’il se passe lorsqu’on filme l’intime.





"Ludique et abyssal, David Holzman’s Diary est un évident jalon cinématographique du questionnement du réel par la fiction, et inversement." Arnaud Hée // Critikat.com


"Peu de premiers films peuvent se prévaloir d’une telle influence, consciente ou non, revendiquer une aussi riche descendance. " Cyril Neyrat // Les Cahiers du cinéma


”L’ambiguïté, l’hybridation de David Holzman’s Diary entre documentaire et fiction continue d’en faire un film aussi actuel que ceux de Kiarostami. […] L’un des premiers et meilleurs films parmi les « faux-documentaires » et certainement l’un des plus intelligents faits dans les années 60 dans le sillage de Culloden (1964) et The War Game (1965) de Peter Watkins. " Jonathan Rosenbaum





Le réalisateur

Jim McBride est né en 1941 à New-York où il fait également ses études de cinéma après un passage par Sao Paulo. Il côtoie assidûment dans les années 60 la Filmmaker’s Cinematheque de Jonas Mekas où il voit entre autres les films de Stan Brakhage, Andy Warhol et Shirley Clarke. Il se familiarise aussi avec le cinéma direct en plein essor, les films de Pennebaker et des frères Maysles en particulier. On retrouve bien entendu dans Le Journal de David Holzman (1967), son premier film, des traces de cet apprentissage avant-gardiste et documentaire. Le film est co-écrit avec Kit Carson qui interprète aussi le rôle-titre. Trouvant le film trop court, le producteur demande à Jim McBride de le coupler avec un court métrage. Jim McBride a ainsi l’idée de My Girlfriend’s Wedding où il interroge sa petite amie, Clarissa, au moment où celle-ci doit se marier, afin de pouvoir rester aux Etats-Unis, avec un militant pour la paix au Viêt-Nam. Le film durera finalement une heure. En circulant dans les plus grands festivals, les deux films acquièrent rapidement un statut culte tout en étant largement invisibles pour le grand public.

S’en suit pourtant une période trouble où Jim McBride peine à faire aboutir ses films, dont un projet de western à la structure ambitieuse produit par Bob Rafelson (Five Easy Pieces) et qui devait un temps être repris par Dennis Hopper. Il réalise tout de même Hot Times (1974) dont le slogan mercantile était « American Graffiti mais avec du sexe. ». Sont aussi réalisés, en 1971, Pictures From Life’s Other Side (qui clôt la trilogie « du journal filmé » entamée avec David Holzman) et Glen and Randa (1971), film de science-fiction post-apocalyptique et intimiste.

Jim McBride attendra dix ans avant de faire aboutir un nouveau projet, le remake américain d’À Bout de Souffle de Jean-Luc Godard. Breathless – Made in USA avec Valérie Kaprisky et Richard Gere est produit à Hollywood. Jim McBride côtoie d’ailleurs brièvement Godard à la fin des années 70 quand ce dernier envisage de réaliser son film américain produit par Coppola. Jim McBride réalise par la suite essentiellement des films pour la télévision. Il réalise notamment en 2001 un épisode de la série Six Feet Under. Il continue tout de même à réaliser des films de cinéma dont The Big Easy, polar avec Dennis Quaid et Great Ball of Fires, biopic de Jerry Lee Lewis qui rencontrent un certain succès.

En 2007, Jim McBride fait une courte apparition dans Les Plages d’Agnès d’Agnès Varda, son amie de longue date.

> Un entretien avec Jim McBride réalisé dans le cadre du FID Marseille,
à l'occasion de la ressortie du film à l'été 2011, à lire ici

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David Holzman’s Diary est votre tout premier film. Outre la controverse explicite et comique avec la formule godardienne, comment est né ce Projet ?
L’idée de « vérité » était très la mode à l’époque, dans le documentaire (Leacock, Pennebaker, Maysles et quelques uns des films du National Film Board au Canada) et dans les films de la Nouvelle Vague, qui semblaient bien plus réels que les films de Doris Day sortant des studios hollywoodiens. Même les films underground américains étaient à la recherche d’une sorte de vérité poétique (Brakhage, Mekas, Noren). On parlait aussi beaucoup du cinéma comme d’une forme d’expression personnelle, si bien que l’idée de « documentaire personnel » semblait intéressante à explorer.


Le personnage de David est interprété par Kit Carson, également scénariste du film, Comment s’est passée, concrètement, votre collaboration ? A l’écriture et au tournage ?
Tout. d’abord Kit Carson n’a pas écrit le scénario et n’était pas impliqué dans le montage. Il n’y avait pas de scénario, juste quelques pages de notes que j’avais écrites. Je ne veux pas minimiser sa contribution cependant, car elle a été énorme, tout celle du chef opérateur, Michael Wadley. Ils ont tous deux été plus que des collaborateurs, mais un tout petit peu moins que des coauteurs.


Le film compte-t-il une part d’improvisation ? Dans les scènes ? Les dialogues ?
Kit et moi, nous nous sommes assis ensemble devant un enregistreur, quelques jour avant de tourner les scènes dans l’appartement de David, quand il s’adresse à la caméra. Je lui disais ce que je voulais qu’il dise dans une scène donnée, ce qu’il réenregistrait avec ces propres mots, puis nous écoutions la bande et discutions de ce que l’on aimait ou-pas, puis nous recommencions. Il fallait que nous soyons au clair sur ce qu’allait être chaque scène, car nous n’avions que très peu de pellicule et nous ne pouvions Pas nous permettre de faire beaucoup de prises. Néanmoins, quand la caméra tournait, Kit lançait souvent quelque chose que nous n’avions pas répété. La plupart du temps, ça marchait.


Le journal filmé de David Holzman relate l’expérience d’un jeune réalisateur qui explore le rapport entre cinéma et vérité et finit par s’en trouver plutôt déprimé. Pensez-nous que le film réussit là où David Holzman échoue ?
Et bien, je l’espère. En théorie, même si David ne parvient jamais à cette compréhension de sa vie qu’il recherche, avec un peu de chance, les spectateurs y parviennent.


David Holzman’s Diary est un des premiers faux-documentaires. Quelles étaient vos propres références au moment du film ?
Oui, évidemment, Jean-Luc Godard et les autres cinéastes que j’ai cité. Un autre film qui a eu un énorme effet sur mois était Le Voyeur, de Michael Powell.


Bourré de références, reposant sur une sorte « d’arnaque » au spectateur, illustration géniale « du paradoxe du menteur », le film peut se lire comme une satire, mais de quoi ?
Satire est peut-être un peu fort. J’appellerais ça une tentative pour refléter le sentiment d’un moment et d’un lieu, une sorte de film Zeitgeist. Avec de l’humour. Qu’est-ce que le paradoxe du menteur ? (qu’il dit souvent la vérité sans le vouloir ?)


Au cours de votre carrière, vous avez travaillé sur des films très différents et votre parcours offre une diversité rare. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Le Journal de David Holzman ?
Je dois avouer que je l’aime beaucoup. C’est peut-être la seule bonne idée que j’ai jamais eue. Ce n’est pas pour dire que je ne suis pas fier de mes autres films, simplement, ils ne sont pas si originaux. Apparemment je n’ai pas plus appris que David avec cette expérience, puisque, ensuite, j’ai réalisé trois petits films sur ma vie privée, My Girlfriend’s Wedding, Pictures from life’s other side et My son’s wedding to my sister-in-law. Ils ne sont pas très connus, mais peut-être c’est mieux comme ça. En ce qui concerne mes films plus commerciaux (dont peu ont rapporté de l’argent), ils sont tous très différents mais je dirais qu’ils ont en commun mon authentique enthousiasme pour les films, tous les genres de films. Même si cela n’est certainement pas apparu à l’époque, il est possible de voir. chacun de mes films comme une tentative d’explorer un genre différent : science-fiction, remake, film noir, comédie musicale.


Entretien réalisé par Céline Guénot

Remerciements : le Cinéma Utopia et son équipe, Guillaume Morel, Survivance (www.survivance.net)


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