MERCREDI 24 NOVEMBRE — 20h30
Cinéma Utopia

LES AUTRES
un film d'Hugo Santiago

France / 1973 / couleur / 90 min
Scénario de Hugo Santiago
avec la collaboration de Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casarès

— Avec Avec Patrice Dally, Noëlle Chatelet, Daniel Vignat, Jean-Daniel Pollet…
Musique d’Edgardo Canton.

— Produit par Elios Films, la maison de production fondée par Jean-Daniel Pollet

Séance en présence de Jean-Pierre Zarader (sous réserve)
à l'occasion de la parution de son ouvrage "Hugo Santiago. La rage de filmer"
aux Éditions artderien,
en partenariat avec la librairie Mollat.

Un libraire parisien nommé Spinoza, qui se croyait proche de son fils, apprend son suicide, laissant un scénario de film derrière lui. Il va tenter de comprendre son geste en se rapprochant de ceux qui furent ses amis.

Deuxième collaboration d’Hugo Santiago avec les écrivains Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casarès après l’énigmatique INVASION réalisé en 1969 à Buenos Aires et qui jouait avec les codes du film noir -, LES AUTRES, tourné à Paris, est un conte surréaliste d’amour et de mort qui s'inspire d'un commentaire de Borges à propos du film de Victor Fleming, Dr. Jekyll and Mr. Hyde (1941) : "Nous pouvons imaginer un film panthéiste dont les nombreux personnages se résolvent finalement en Un, qui est éternel". Le film, qui capte le processus de sa propre production et n'hésite pas à en révéler le caractère illusionniste, devient une quête d’identité, à travers les méandres de la magie, de la schizophrénie, du dédoublement et des images mentales.
Jean-Daniel Pollet (qui a co-produit le film) y joue le rôle d'Adam, la mythique librairie Shakespeare & Co sert de décor à la boutique de Spinoza...

Transgressant les lois classiques de la narration, LES AUTRES installe le spectateur au cœur d’une fiction polyphonique et fragmentée qui brasse plusieurs niveaux de réalité.
Hugo Santiago applique ici la définition que Jean Cocteau donnait du cinématographe, « une arme puissante pour projeter la pensée », le véhicule de forces occultes, un acte médiumnique qui hante l’obscurité d’objets insolites et éclaire la vie rêvée des personnages d’une étrange lumière.

Voici ce qu'en dit l'écrivain et cinéaste Argentin Edgardo Cozarinsky dans son ouvrage, Jorge Luis Borges - Sur le cinéma (Éditions Albatros, 1979) :

"Rarement un film aussi attentif à la beauté de ses images et de ses sons n'aura visé aussi intensément un effet au-delà de ces apparences, à leurs éventuelles confluences et disjonctions. La peau blanche comme la neige d'une femme insaisissable, les tours inoffensifs de quelques magiciens, le mécanisme de l'enquête qui feint de guider l'intrigue, sont les signes d'un autre processus, qui fait disparaître leurs apparences indociles pour mettre le spectateur face à un autre film - différent, possible, réalisable - qui pourrait commencer par la dissolution de ces identités fictives (de lieux et de personnages) qui traversent LES AUTRES simplement pour indiquer une idée du cinéma. (...) Santiago a clairement exprimé le but de son film : ne pas essayer de "brouiller" le récit par des techniques et des dispositifs littéraires et reproduire cette confusion dans le film, mais, au contraire, considérer le récit comme un "objet naturel" (comme un visage, une rue, un bruit) et le traiter, le modifier, par des moyens cinématographiques, pour en faire une matière filmique".

Sélectionné au festival de Cannes en 1974 où il reçoit un mauvais accueil, le film est un échec commercial à sa sortie en 1975 et restera quasiment invisible depuis. Il sera pourtant admiré, entre autres, par Roland Barthes, Michel Foucault, Felix Guattari, et si l'on en croit Hugo Santiago en personne, inspirera à Gilles Deleuze son premier texte sur le cinéma...

Toutes les critiques n'ont pas été négatives. Louis Marcorelles fait l'éloge du film dans Le Monde du 24 février 1975 :

"Hugo Santiago […] traite cette histoire fantastique avec une feinte désinvolture, met au présent de narration chaque personnage, chaque événement, réel ou imaginaire, s’offrant au spectateur avec la même apparence de vraisemblance. À ce dernier de jouer le jeu, de faire l’effort d’imagination nécessaire pour bien cerner les frontières parfois imperceptibles de ce double univers. […]

Hugo Santiago dirige les comédiens avec une extrême précision, et d’abord Noëlle Chatelet et Patrice Daily. Roger Planchon, le magicien, par son exubérance, sa simple présence physique, son visage méphistophélique, fait presque éclater ce cadre trop rigide.

Cette œuvre conçue par cinq Argentins est le plus étonnant film étranger jamais tourné sur les bords de la Seine, dans un Paris d’avant les gratte-ciel, amoureusement chéri et recréé."

Voici l'occasion de découvrir à Bordeaux ce film rare.

Remerciements : Natalia Muchnik, Sophie Faudel (Mélisande Films), Jean-Pierre Zarader, Annie Zivkovic et les Éditions artderien.