Cette page est une archive des séances Lune Noire pour l'année 2022

Retrouvez Lune Noire sur www.lunenoire.org et sur Facebook

_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 9 JANVIER 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


PERDITA DURANGO

Un film d'Alex de La Iglesia

Espagne-Mexique / 1997 / couleur / 2h09 / VOSTFR
Scénario de Barry Gifford, David Trueba, Jorge Guerricaechevarría et Álex de la Iglesia
Avec Rosie Perez, Javier Bardem, Screamin' Jay Hawkins, James Gandolfini, Harley Cross, Aimee Graham, Don Stroud, Alex Cox…

— Director’s Cut — Interdit aux moins de 16 ans

— Quand Perdita Durango rencontre Romeo Dolorosa à la frontière mexicaine, c’est le coup de foudre instantané. Les amants, dont les tendances psychopathes ne tardent à se manifester, décident de kidnapper un couple d’adolescents nord-américains pour les offrir en sacrifice lors d’une cérémonie de santería dont Romeo est le grand prêtre, avant de partir en direction de Las Vegas où un chef mafieux leur a demandé de convoyer un camion frigorifique transportant des fœtus humains…

Oui, vous avez bien lu, et ce n’est qu’une fraction de ce qui vous attend : on vous embarque pour une improbable virée pleine d’excès et de fureur.
Après une entrée fracassante dans le cinéma horrifique avec ACTION MUTANTE et LE JOUR DE LA BÊTE, Alex de la Iglesia traverse l’Atlantique direction le Nouveau Mexique pour son troisième long métrage adapté du roman de Barry Gifford, 59 Degrees and Raining: The Story of Perdita Durango, succédant à son célèbre Sailor & Lula. Cependant, le réalisateur espagnol, adoubé de son fidèle scénariste Jorge Guerricaechevarria, dédaigne le romantisme vaguement rebelle des deux teenagers du film qu’en a tiré David Lynch pour nous propulser avec cette suite dans un maelstrom de situations insensées qui voisinent davantage avec le PULP FICTION de Quentin Tarantino, avec autant, sinon plus, de violence hallucinée, d’humour vachard et de cynisme décomplexé.
Si le film de Lynch présentait furtivement le personnage de Perdita sous les traits d'Isabella Rosselini, ici pas de langoureuse vamp à perruque blonde bouclée mais une Latino torride bottée de cuir et toute de noir vêtue, fille légitime et très charnelle de la Tura Satana de FASTER PUSSYCAT, KILL, KILL! Car c’est bien du côté du classique teigneux de Russ Meyer que cette ode à l’amour fou au goût de sang et de poussière nous entraine puissance 10, pour un trip parfaitement amoral et définitivement indompté. Le titre américain du film n’est-il pas DANCE WITH THE DEVIL ?

Western motorisé et lourdement armé, renouant avec le mythe de la « dernière frontière », PERDITA DURANGO rallume le crépuscule hollywoodien de l’Ouest conquis et désabusé, versant « exploitation film » pour Drive-in. Ici et là, sont convoqués Sam Peckinpah et surtout Robert Aldrich, quand Romeo, incarné par un séduisant autant que menaçant Javier Bardem, tout droit sorti d’un clip de Black Sabbath et dont les audaces capillaires anticipent un rôle fameux chez les frères Cohen, s’identifie à Burt Lancaster face à l’imperturbable Gary Cooper en une mise en abîme de VERA CRUZ.
Mais ici, l’adversaire peu glorieux est un flic maladroit (interprété par le regretté James Gandolfini) qui poursuit avec ténacité le couple diabolique à travers les états du sud des États-Unis, et l’épopée tourne constamment au festival de bastos pour le plaisir coupable du spectateur. Ajoutez un zeste de mysticisme vaudou en la personne de Screamin’ Jay Hawkins et on affiche complet chez les fous.

On s’étonne aujourd’hui que ce cocktail d’insanités, dans la lignée impure de ce cinéma grindhouse revisité dans les années 90 par un quarteron de réalisateurs biberonnés à la VHS et aux séances de minuit, soit passé à peu près inaperçu à sa sortie, éclipsé par les non moins tapageurs TUEURS NÉS d’Oliver Stone et TRUE ROMANCE de Tony Scott, tous deux scénarisés par l’incontournable Tarantino.

Voici donc LE Director’s Cut d’un film orchestré d’une main de maître par un réalisateur récompensé depuis par de nombreux prix, à apprécier sur GRAND ÉCRAN et en DOLBY SURROUND, sinon rien.

— Bertrand Grimault

Retrouvez Lune Noire sur www.lunenoire.org et sur Facebook

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 6 FÉVRIER 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


HUNTED (COSMOGONIE)

Un film de Vincent Paronnaud

France-Belgique-Irlande / 2020 / couleur / 1h27 / VO (anglais) STFR
Avec Lucie Debay, Arieh Worthalter, Ciaran O'Brien, Ryan Brodie.

— Séance en présence du réalisateur Vincent Paronnaud

— En déplacement pour son travail, mise sous pression par son patron, harcelée par son conjoint, Eve a besoin de se détendre. En allant boire un verre dans un club, elle y fait la rencontre d’un homme charmant et décide de se laisser séduire. Mais l’homme cache un dangereux psychopathe, et les bois ne sont pas loin… Alors qu’aidé d’un acolyte, l’homme l’a kidnappée, Eve parvient à s’enfuir dans la forêt. La chasse peut commencer.

Artiste protéiforme, auteur de bandes dessinées célébré (son PINOCCHIO a obtenu le Grand Prix du Festival d’Angoulême), co-réalisateur avec Marjane Satrapi de l’adaptation de PERSEPOLIS, Vincent Paronnaud (a.k.a. Winshluss) développe depuis une dizaine d’années une activité cinématographique fortement imprégnée de « Genre » pour déployer un peu plus son univers noir et sarcastique. Après VILLEMOLLE 81, faux documentaire aux allures de Groland Zombie et TERRITOIRE, un court-métrage d’horreur mixant morts-vivants et guerre d’Algérie dans les montagnes pyrénéennes, il passe enfin au format long avec HUNTED.
Commençant par une histoire autour d’un feu de camp racontée par une mère à son fils, le ton du récit nous est donné de suite : le film empruntera aux contes leur symbolique, leur logique décalée… mais aussi leur brutalité. Comme le dit la morale de l’histoire racontée par la femme à son enfant : « La compagnie des loups est meilleure que celle des hommes » et HUNTED nous le démontre une heure vingt durant, à travers une course-poursuite haletante où l’horreur la plus crue le dispute à l’humour le plus noir. Sur une base classique de Survival, un des grands sous-genres du cinéma d’horreur depuis LES CHASSES DU COMTE ZAROFF de Pichel et Schoedsack en 1932, popularisé par le traumatisant DELIVRANCE de John Boorman, Vincent Paronnaud le fait sien en le mixant avec Le Petit Chaperon Rouge et en le plongeant dans le bain acide d’un comique tour à tour grinçant et grotesque. Porté par un trio d’acteurs formidables – Lucie Debay en jeune femme urbaine redécouvrant sa nature primale, Arieh Worthalter en psychopathe pervers aux velléités démiurgiques et Ciaran O’Brien en acolyte faible et crétin – le film file tambour battant non pas pour nous rappeler que l’homme est un animal, mais qu’il est bien pire que ça… Le constat vous semble nihiliste ? Rassurez-vous, c’est voulu. Et comme vous l’aurez compris, rien ne nous empêche d’en rire.

Cauchemardesque et absurde, effrayant et drôle, tendu surtout du début à la fin, HUNTED est une expérience aussi jubilatoire que malaisante. Il est surtout la preuve que la France possède des auteurs capables de produire un cinéma de genre excitant et singulier, et ce en dépit de budgets pas forcément à la hauteur. Ironie de la chose : le film a été privé de distribution dans son propre pays. Il fallait bien que Lune Noire répare cette injustice.

— Mathieu Mégemont

Retrouvez Lune Noire sur www.lunenoire.org et sur Facebook

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia.
Merci à Vincent Paronnaud et Looch Vibrato.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 6 MARS 2022 — 20H00
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


TRAINÉ SUR LE BITUME
(DRAGGED ACROSS CONCRETE)


Scénario, musique et réalisation de S.CRAIG ZAHLER

États-Unis-Canada / 2020 / couleur / 2h39 / VOSTFR
Avec Mel Gibson, Vince Vaughn, Tory Kittles, Michael Jai White, Jennifer Carpenter, Laurie Holden, Udo Kier, Thomas Kretschmann, Don Johnson…

— Tout juste sorti de prison, Henry Johns revient chez lui pour découvrir que sa mère, endettée jusqu’au cou, doit se prostituer pour subvenir aux besoins de son plus jeune fils handicapé. En parallèle, deux inspecteurs de police chevronnés sont mis à pied suite à l’interpellation brutale d’un suspect qu’un anonyme a filmée et diffusée sur Internet. Mis sur la piste d’un trafic de stupéfiants auquel Henry a accepté de participer, ils décident de se mettre à leur propre compte pour doubler les truands et ramasser le pactole…

Après le western horrifique BONE TOMAHAWK (2015) et le thriller carcéral SECTION 99 (BRAWL IN CELL BLOCK 99, 2017), S. Craig Zahler confirme avec ce formidable TRAÎNE SUR LE BITUME sa position de favori dans le cinéma américain contemporain. Mais ici, américain n’équivaut pas à Hollywoodien, ou bien vraiment à sa marge. Un rapide coup d’œil au choix de ses acteurs – Kurt Russell dans son premier long-métrage et Mel Gibson présentement, deux énormes stars devenues infréquentables suite à des prises de position controversées – suffit déjà à percevoir le peu d’intérêt que Zahler porte à la bienséance et au politiquement correct. Et la vision de ses films enfonce le clou de son indépendance plus à la massue qu’au marteau : languides et secs, tirés au cordeau, ils jouent sur une attente proprement infernale avant un point de rupture aussi inévitable que libérateur. Loin, très loin des canons de plus en plus formatés du cinéma dominant made in USA. Adepte de la combustion lente, Zahler atteint avec ce troisième long-métrage un point d’incandescence ultime et propose une expérience en tous points singulière et jouissive, renouant avec un certain cinéma des années 70-80 dans la veine abrasive et amorale des polars de Michael Mann (THIEF, MANHUNTER) et William Friedkin (TO LIVE AND DIE IN L.A.), tout en élaborant un style éminemment personnel et d’une grande efficacité.

Le duo composé par Vince Vaughn et Mel Gibson - dans un de ses meilleurs rôles en flic bougon et opiniâtre - ne doit surtout pas cacher l’implacable partition chorale jouée par une galerie de personnages parfois furtifs mais qui marquent le récit d’une empreinte absurde ou tragique. Aucun manichéisme ici : pas de bons, pas de méchants, chacun se débat dans l’immense zone grise de l’existence où il serait illusoire d’attendre du sens ou de la justice. Dans un tel climat de tension, de désespoir et d’affirmation virile de la violence, ce sont paradoxalement les liens affectifs qui motivent les choix extrêmes auxquels les multiples protagonistes doivent se plier. L’amour inconditionnel pour un proche transparaît dans tous les interstices d’une toile de fond résolument sombre, chacun portant la croix de ses espérances, aspirant à un bonheur et à une dignité que la société lui refuse.
Déjà rompu en tant qu’écrivain (il est l’auteur de plusieurs romans parus en France chez Gallmeister) à l’art de brosser avec un sens maniaque du détail des individus tiraillés par leurs désirs et leurs contradictions, Zahler excelle ici à déployer sur un ton parfois désinvolte des situations inextricables, capables de susciter autant le rire que l’effroi.

Ainsi, nourri par l’humanité de personnages prêts à tout pour s’en sortir, le suspense complexe de TRAINÉ SUR LE BITUME se dérobe pour mieux nous saisir dans ses surgissements sauvages.

— Bertrand Grimault & Mathieu Mégemont

Retrouvez Lune Noire sur www.lunenoire.org et sur Facebook

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia,
avec le concours de Metropolitan.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 1er MAI 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


THREADS

Un film de Mick Jackson

Grande-Bretagne / 1984 / couleur / 1h50 / VOSTFR
Avec Karen Meagher, Reece Dinsdale, David Brierly, Rita May…

British Academy Film Awards, 1985 : multiples récompenses (adaptation, cameraman, montage, décor).

Inédit en France
version restaurée

— 1984. À Sheffield, cité sidérurgique du Nord de l’Angleterre, la routine des habitants, entre problèmes et petits bonheurs du quotidien, est ponctuée par les flashs d’information qui relatent les tensions à la frontière iranienne entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. Jusqu’à l’escalade inévitable, menant à l’inconcevable : un assaut nucléaire est déclenché, dévastant les villes du Royaume-Uni. La panique est totale, les fondements de la société s’effondrent. Une lutte acharnée pour la survie commence dans les décombres d’un monde irradié pour les siècles à venir.

Dans notre texte de présentation de LETTRES D’UN HOMME MORT, film post-apocalyptique du cinéaste Ukrainien Konstantin Lopouchanski programmé au Cinéma Utopia en mars 2018 dans le cadre de Lune Noire, nous citions le magistral ouvrage de W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, dans lequel l’écrivain évoquait les raids massifs sur les populations civiles à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et l’anéantissement d’Hiroshima et de Nagasaki, rappelant le principe fondamental de toute guerre : l’annihilation aussi complète que possible de l’ennemi, de ses habitations, de son histoire et de son environnement naturel. À l’heure de « l’opération spéciale » en Ukraine, succédant à la guerre fratricide en Syrie, ce constat glaçant est de nouveau à l’œuvre.

Le cinéma s’est depuis longtemps largement inspiré des conséquences d’un conflit mondial, bien souvent pour faire du cataclysme un pur spectacle pyrotechnique d’où émerge l’éternelle figure du héros patriote. Mais rarement œuvre de fiction aura atteint un réel degré d’épouvante dans la description méthodique d’une destruction si totale qu’elle bouleverse l’entendement. THREADS appartient à cette famille de films dont la vision laisse une trace durable, sinon permanente, dans la conscience du spectateur. Car il s’agit bien pour Mick Jackson et l’écrivain et scénariste Barry Hines d’alerter l’opinion publique et les politiques sur les risques irréversibles d’un conflit nucléaire en pleine résurgence de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union Soviétique d’alors.

Produit par la BBC avec un budget conséquent et diffusé en 1984 et 1985 à une heure de grande écoute, le programme eut un impact médiatique considérable par le réalisme de ses descriptions. Contemporain du téléfilm américain LE JOUR D’APRÈS de Nicholas Meyer qui connut par son exploitation en salle un succès international, THREADS n’a pas connu les déboires de LA BOMBE (THE WAR GAME) de Peter Watkins, également produit par la BBC en 1965 mais privé d’antenne car jugé trop… alarmiste. Il en partage pourtant une certaine tonalité documentaire qui est un trait caractéristique du cinéma britannique de fiction. En effet, en tant qu’écrivain et collaborateur régulier de Ken Loach, Barry Hines est d’abord un sociologue de la classe ouvrière, et il confère à chacun des protagonistes de THREADS une profondeur psychologique dans un contexte social donné; ensuite, le générique déroule une liste impressionnante de spécialistes, scientifiques et médecins, qui ont contribué à établir le tableau le plus véridique, sinon le plus cru, sur les effets concrets de l’explosion d’une bombe atomique sur une population civile et des ravages à long terme provoqués par les radiations : la prédiction d’un long « hiver nucléaire ».
Lors d’un débat télévisé suivant une diffusion du JOUR D’APRÈS, l’astronome Carl Sagan (également consultant technique sur THREADS) compara la course aux armements à « deux hommes se faisant face avec de l’essence jusqu’à la taille, l’un avec 3 allumettes et l’autre avec 5 ».

Sous ses allures de film d’anticipation apocalyptique, THREADS nous rappelle avec gravité que face à la folie des belligérants et à un possible cataclysme nucléaire, il ne peut y avoir ni vainqueur, ni héros, ni même de survivant, mais juste un champ infini de ruines signant la fin de la civilisation telle que nous la connaissons.

— Bertrand Grimault



Post-scriptum :
Devenu une œuvre de référence (« culte » comme on dit) en Grande-Bretagne où les diverses éditions en VHS étaient des objets de collection patiemment recherchés avant que la BBC ne restaure et réédite le film récemment, THREADS est un film quasi inconnu sur le continent. Logique : en tant que production télévisuelle, comme un nombre considérable de réalisations britanniques qui restent à découvrir, il n’a jamais été diffusé hors de son pays d’origine et n’a circulé que dans des cercles cinéphiles restreints, contrairement au JOUR D’APRÈS qui a bénéficié d'une exploitation internationale en salles. La version sous-titrée en français que vous verrez à Bordeaux est le fruit du travail collectif et « clandestin » de fans qui tiennent le film en haute estime et en permettent désormais ainsi un accès plus large à un public non-anglophone.

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia,
avec le concours de la BBC.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 29 MAI 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


SYMPTOMS

Un film de Joseph Larraz (José Ramón Larraz)

Grande-Bretagne/Belgique / 1974 / couleur / 1h31 / VOSTFR
Scénario de José Ramón Larraz et Stanley Miller, d’après une histoire de Thomas Owen.
Avec Angela Pleasence, Peter Vaughan, Lorna Heilbron, Nancy Nevinson…
Musique de John Scott.

Sélection officielle, festival de Cannes, 1974
Inédit en salles en France

— De retour de Suisse, la jeune traductrice Helen Ramsey invite son amie écrivaine Anne à passer un week-end dans sa propriété de famille inoccupée depuis des années dans un coin reculé de la campagne anglaise. Le garde-forestier est la seule présence humaine à des miles à la ronde. Le séjour s’annonce idyllique mais aussitôt le seuil de la demeure franchi, Helen, targuant un souci passager de santé, se comporte de façon de plus en plus erratique.


Angela Pleasance dans Symptoms.


SYMPTOMS est un des secrets les mieux gardés du thriller horrifique britannique des années 70, pourtant réalisé par un cinéaste espagnol. José Ramón Larraz Gil, qui a anglicisé son nom en Joseph Larraz ou signant parfois J.R. Larrath, a un solide passif d’auteur de bande-dessinée pour la jeunesse quand il part s’installer en Angleterre pour se lancer dans une carrière cinématographique ouvertement tournée, avec des résultats mitigés, vers le genre érotico-horrifique alors en vogue.

Dès 1970 et WHIRLPOOL (« Remous », tapageusement traduit par L’ENFER DE L’ÉROTISME pour le public francophone), on trouve des motifs qui deviendront récurrents dans nombre de films de Larraz : un cadre champêtre propice à un huis-clos tendu, des parages dissimulant de sombres secrets, une ambiance lourde de frustration sexuelle et affective, la menace potentielle des objets domestiques, bref, le calme bucolique avant la tempête.
Il faut cependant attendre SYMPTOMS, son sixième long métrage, pour que Larraz affirme de réels talents de réalisateur en adaptant une histoire de Thomas Owen, écrivain belge qui, à l’instar de son compatriote Jean Ray, excelle dans l’art d’un fantastique lugubre.

Par son sujet et son traitement - le basculement progressif d’une jeune femme dans la folie -, SYMPTOMS marche de toute évidence dans les traces du célèbre RÉPULSION de Roman Polanski et du moins connu mais passionnant IMAGES de Robert Altman que Lune Noire a présenté en février 2019.
Le critique américain Seymour Chatman, à propos du DÉSERT ROUGE d’Antonioni, analysait la description quasi clinique de la névrose du personnage de Giuliana qui rendait problématique tout aspect de son existence - pas seulement l’amour, l’amitié, la relation à sa propre famille et à autrui, mais la moindre décision dont il s’agit d’assumer la responsabilité. L’angoisse est réelle, elle devient palpable. Les barrières mentales dressées pour s’en préserver finissent par s’effondrer, exacerbant le sentiment d’agressivité que dissimule toute peur. Larraz va appliquer ce programme à la lettre dans un registre esthétique fort éloigné du cinéaste italien, troquant la grisaille aliénante d’un environnement industriel contre la mélancolie d’un paysage sans soleil et quelque peu pourrissant.
Dans SYMPTOMS, la maison isolée agit comme contrepoint physique à l’état mental d’Helen, femme-enfant inapte à gérer ses émotions, qu’interprète la lunaire Angela Pleasance (fille de Donald P.). Le film commence par le souvenir d’un rêve et semble se poursuivre comme tel, avec ses fantômes et ses hallucinations qui voileront bientôt ce qu’il reste de réalité, en s’installant à demeure. L’imagination emplit l’espace laissé par un silence angoissant, offrant toute latitude à la jalousie, à la paranoïa et au final à la folie homicide.


Lorna Heilbron dans Symptoms.

Film d’atmosphère gothique baignant dans une lumière automnale, SYMPTOMS éclot lentement, par touches subtiles, pour mieux nous surprendre dans ses déséquilibres et déraillements. Ses qualités lui ont valu de représenter la Grande-Bretagne au festival de Cannes en 1974, au côté du MAHLER de Ken Russell. Pourtant, le film est rapidement tombé dans l’oubli, en dehors d'un cénacle d'admirateurs qui ont jusqu'ici fait circuler une VHS pirate issue de son ultime diffusion télévisuelle en Grande-Bretagne au début des années 80.

Longtemps considérés comme perdus, figurant dans la liste des 10 films les plus recherchés par le British Film Institute, les négatifs originaux ont été miraculeusement retrouvés en 2014 et le métrage a été restauré par la Cinémathèque Royale de Belgique, offrant une nouvelle vie à cette œuvre très singulière.

— Bertrand Grimault

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia,
avec le concours de la Cinémathèque Royale de Belgique et du British Film Institute.
Merci à George Watson et à Regina De Martelaere.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 26 JUIN 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


THE NIGHTINGALE

Un film de Jennifer Kent

Australie / 2018 / couleur / 2h16 / VO (Anglais, Irlandais, Palawa kani) STFR
Scénario original de Jennifer Kent.
Avec Aisling Franciosi, Sam Claflin, Baykali Ganambarr, Damon Herriman, Harry Greenwood, Ewen Leslie, Charlie Shotwell, Michael Sheasby, Charlie Jampijinpa Brown…
Musique : Jed Kurzel

Prix spécial du jury, Mostra de Venise, 2018
Grand Prix et Prix d’interprétation pour Aisling Franciosi, 9ème Australian Academy of Cinema and Television Arts Awards, 2019.

Inédit en salles en France
Avertissement : certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public

— En 1825, à la veille de la « guerre noire » menée par l’armée coloniale britannique contre les aborigènes de Tasmanie, Clare Carroll, une jeune servante irlandaise surnommée « le rossignol » pour la beauté de son chant, est violée par son officier de tutelle, le Lieutenant Hawkins, qui la laisse pour morte après avoir tué son mari et son bébé. Confrontée à l’indifférence des autorités, Clare n’a plus qu’une idée en tête : se faire justice.

Accueilli par des réactions racistes et misogynes lors de sa présentation en 2018 à la Mostra de Venise, où le jury lui attribua cependant son Prix spécial, privé de sortie en salles du fait de la pandémie et cantonné à une diffusion en ligne, le deuxième film de la réalisatrice de THE BABADOOK, un conte horrifique sorti en 2014 et multi-primé, aura connu un long purgatoire avant d’arriver sur l’écran du Cinéma Utopia pour cette séance unique…

En s’attaquant au genre inconfortable du « rape and revenge » (film de viol et de vengeance) dans un contexte historique donné, Jennifer Kent fait résolument le choix de secouer la conscience du spectateur. Son récit est basé sur une exigence d’authenticité dans les moindres détails. Tout d’abord en le situant à l’époque où la grande ile australienne nommée « Lutruwita » par les autochtones, connue en Europe comme
« Terre de Van Diemen » avec un statut de colonie pénale, était une destination aux paysages sauvages et encore inexplorés où la Couronne britannique envoyait droits communs, délinquants et criminels. On ne saura pas quelle peine purge depuis sept ans la frêle Clare, qui attend en vain la lettre de recommandation qui lui rendrait la liberté et mettrait fin aux abus dont elle est victime, dans un pays où l’on comptait alors huit hommes pour une femme. Quand il s’agit pour elle de partir à la poursuite des assassins de sa famille, en route vers le quartier général de Launceston où le Lieutenant Hawkins aspire au grade de Capitaine, elle n’a d’autre choix que de trouver un guide pour la conduire dans ces contrées inhospitalières. Ce sera Billy (de son vrai nom, Mangana, "Le Merle"), un aborigène dont les proches ont été décimés lors d’un de ces massacres encouragés par le gouvernement local, réprimant la population indigène qui s’est révoltée face à l’afflux massif de colons, la réduction du gibier sur les terres traditionnelles de chasse et le rapt de femmes et d’enfants réduits en esclavage.
En réponse à la guérilla, les colons se livrèrent à l'époque à un véritable génocide, encouragé par le gouvernement. Il en résulta la destruction du mode de vie et d’organisation sociale traditionnels, la réduction de la population aborigène de plusieurs milliers d’individus à quelques centaines…

On conçoit que les relations entre la fugitive blanche et l’orphelin noir dont elle dépend dans son périple soient d’abord imprégnées de racisme et d’ignorance réciproque, avant que leur haine commune de l’oppresseur anglais ne les rapproche.
Jennifer Kent amène par sa puissante mise en scène le spectateur à vivre une aventure d’une rare intensité. À cela tout concourt : la violence de l’histoire (durant le tournage, actrices et acteurs ont bénéficié d’une assistance psychologique, compte tenu de la brutalité de certaines situations), son héroïne vengeresse aux semelles de laquelle le film demeure accroché, les sombres forêts pluviales où s’engage la chasse à l’homme, l’écriture sèche du scénario, le format carré de l’image choisi par la réalisatrice afin d’éviter que les personnages ne se noient dans la nature et justifiant pleinement l’expérience de vision dans une salle de cinéma.

Si le film est un réquisitoire contre les atrocités commises vis-à-vis des populations aborigènes et des femmes au début du XIXe siècle en Tasmanie pendant la colonisation britannique, il est aussi et surtout le récit bouleversant de la rencontre de deux opprimés qui, au-delà de leurs différences, accomplissent un chemin initiatique vers une fragile mais nécessaire vérité : le besoin de compassion dans une époque de brutalité.

— Bertrand Grimault

Film annonce :



_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 18 SEPTEMBRE 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


L'ANGE DE LA VENGEANCE
(Ms.45 aka Angel of Vengeance)

Un film d'Abel Ferrara
États-Unis / 1981 / couleur / 1h20 / VOSTFR
Scénario de Nicholas St. John
Musique de Joe Delia

Avec Zoë Tamerlis (Zoë Lund), Albert Sinkys, Darlene Suto, Steve Singer, Jack Thibeau, Peter Yellen…

Interdit aux moins de 12 ans

— New-York, 1981. Couturière pour un créateur de prêt-à-porter, Thana, une jeune femme fragile et muette va apprendre de la manière la plus brutale qui soit la loi de la jungle urbaine en se faisant violer deux fois, coup sur coup, la même journée. Après avoir tué son second agresseur, elle décide de se débarrasser du corps et de récupérer son arme, un calibre 45, pour nettoyer les rues de la ville de sa « masculinité toxique ». Mais à mesure que ses victimes s'accumulent, Thana sombre dans la folie...

Second film « officiel » d’Abel Ferrara après un premier essai pornographique officieux et le manifeste punk et gore multi-censuré DRILLER KILLER, L’ANGE DE LA VENGEANCE s’inscrit encore franchement dans le cinéma d’exploitation des années 70 en opérant le mariage de deux sous-genres en vogue à l’époque : le « Rape & Revenge » et le « Vigilante ».
Le programme du « Rape and Revenge » est tout entier présent dans son appellation : une femme se fait violer dans la première partie du film, et se venge de ses agresseurs dans la seconde. Celui du « Vigilante » nous expose la justice individuelle menée par un homme victime d'une délinquance hors de contrôle, faute d'une justice officielle à la hauteur (pour différents motifs : laxisme idéologique, manque de moyens, corruption, etc.). A la fondation du récit de L’ANGE DE LA VENGEANCE, il n'est donc pas étonnant d'y trouver deux mètres étalons de ces sous-genres : CRIME À FROID du danois Bo Vibenius et UN JUSTICIER DANS LA VILLE de Michael Winner. Des films conspués en leur temps (pour sexisme pour le premier et fascisme pour le second) et dont l'analyse aujourd'hui, une fois les esprits refroidis, nous renvoie une image extrêmement différente, pour ne pas dire opposée. Adoubé par Quentin Tarantino qui a repris le design iconique de son héroïne borgne pour le personnage de Darryl Hannah dans KILL BILL, CRIME À FROID et le Rape and Revenge en général sont lus désormais comme des récits féministes. Et UN JUSTICIER DANS LA VILLE semble plutôt actualiser les thématiques du Western (l'espace, la frontière, la violence) en milieu urbain pour nous plonger d'une manière ambivalente dans la psyché de plus en plus paranoïaque de son protagoniste, sorte de cow-boy justicier en plein pétage de plomb, plus prompt à dézinguer quiconque s'éloignerait de la loi que de vraiment chercher à réparer les torts subis.

Épaulé par Nicholas St. John, le scénariste de sa première partie de carrière qui se livre ici à un excellent travail de synthèse, Ferrara s'attache à dépasser le carcan de codes potentiellement réducteurs en s’intéressant principalement à la lente descente aux enfers psychique de son héroïne (formidable Zoë Lund, icône flamboyante et autodestructrice du New-York no-wave, polytoxicomane par choix, décédée prématurément d'une overdose après avoir scénarisé BAD LIEUTENANT de Ferrara) ajoutant une subtilité et une ambiguïté bienvenues à cette œuvre d’un féminisme a priori ultra-radical découlant directement du SCUM MANIFESTO de Valérie Solanas pour qui « un bon homme est un homme mort » (ou du moins émasculé).

Tourné avec talent pour un budget de court-métrage, considéré par certains comme le meilleur film d'Abel Ferrara et comme le parangon du cinéma d'exploitation des années 80, L’ANGE DE LA VENGEANCE n'a rien perdu de sa force de frappe et se révèle, quarante ans après sa sortie, d'une brûlante actualité.

— Mathieu Mégemont

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia, avec le concours de Warner France.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 30 OCTOBRE 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


OUR MOTHER'S HOUSE
(Chaque soir à 9 heures)

Un film de Jack Clayton
GB / 1967 / couleur / 1h20 / VOSTFR
Scénario de Jeremy Brooks & Haya Harareet, d’après le roman de Julian Gloag.
Musique de Georges Delerue

Avec Dirk Bogarde, Pamela Franklin, Mark Lester, Yootha Joyce…

— Sous le toit d’une modeste maison, dans un quartier résidentiel du Londres des années 60, ils sont sept enfants, frères et sœurs, à vivre avec leur mère alitée qui les a élevés dans le rigorisme de la Bible. L’ainée n’a pas quatorze ans mais occupe déjà des responsabilités d’adulte : faire les courses, la cuisine, consoler les petits. La mère meurt. Les enfants, terrifiés à l’idée d’être séparés et d’être placés en institution dont ils se font une image à la Dickens, l’enterrent au fond du jardin. Ils dissimulent son décès à leur voisinage et poursuivent leur existence comme si de rien n’était. Un jour, leur père, un débauché absent depuis des années, ressurgit…

« Plus que tout, j’aime les enfants », affirme dès le générique Miss Giddens, la gouvernante incarnée par Deborah Kerr, dans LES INNOCENTS, d'après le roman « Le tour d’écrou » d’Henry James, classique envoutant du cinéma et œuvre la plus célèbre de Jack Clayton, sortie en 1961 - une célébrité qui a malheureusement éclipsé le reste de sa filmographie. Les mots de Miss Giddens pourraient sortir de la bouche même du réalisateur britannique, réputé pour ses adaptations littéraires, lui qui aura tout au cours de sa carrière parcimonieuse (9 longs métrages en 40 ans) porté une attention toute particulière au domaine de l’enfance. Une enfance le plus souvent orpheline, où un angélisme trompeur et une certaine fascination pour la mort font vaciller ces intrus trop rationnels ou trop névrosés que sont les adultes.

Après THE PUMPKIN EATER (1964) qui mettait en scène d’après un scénario de Harold Pinter une progéniture nombreuse papillonnant autour d’un couple instable, Clayton choisit pour son quatrième film d’explorer les relations qu’entretiennent de jeunes frères et sœurs dans le secret d’un univers surréel mêlant les peurs enfantines et le féérique.
Le contexte en est plus que trouble : des gamins, livrés à eux-mêmes suite à la mort soudaine de l’unique adulte du foyer, s’inventent de nouveaux rituels pour en conjurer l’absence ; chaque soir, Bible en main, l’unique livre de la maison semble-t-il, l’esprit de la défunte est invoqué lors d’une séance de spiritisme pour commander les actes parfois cruels de cette petite communauté par ailleurs fortement soudée. Des règles ont été établies, quitte à transgresser radicalement - souvent par jeu - celles qui s’imposent « à l’extérieur ».

Plus trouble encore est le personnage du père interprété par Dirk Bogarde qui sort tout juste d’ACCIDENT de Joseph Losey, et qui semble transposer ici quelque chose de la perversité de son rôle dans THE SERVANT. Ce père indigne - inconnu des plus petits - rassure d’abord par sa franche camaraderie et sa capacité à gérer un quotidien trop lourd pour de frêles épaules, avant de perturber sans ménagement le huis clos protecteur, enfin de briser le « monde parallèle » que s’était inventé le groupe.
Ainsi, le film se présente en deux parties distinctes, la première baignant dans un fantastique feutré, la seconde préparant la lente implosion d’un monde rêvé et la perte de l’innocence.

Cette atmosphère confinée aux teintes automnales a paru quelque peu surannée en pleine frénésie du Swinging London. 1967, c’est l’année de BLOW UP d’Antonioni, de PRIVILEGE de Peter Watkins, de HOW I WON THE WAR de Richard Lester, avec John Lennon dans le rôle principal, dans le sillage de HARD DAY’S NIGHT, et OUR MOTHER’S HOUSE (qui est de surcroit sorti en 1973 en France, six ans après sa sélection au festival de Venise) est passé inaperçu et est rapidement tombé dans l’oubli.
Pourtant, ce film « d’enfants pour adultes » tout en nuance et suggestion, qui évoque davantage JEUX INTERDITS de René Clément que SA MAJESTÉ DES MOUCHES de Peter Brook dont il est trop souvent hâtivement rapproché, livre une stupéfiante direction d’acteurs âgés de 4 à 13 ans (dont Pamela Franklin qui interprétait déjà la petite Flora dans LES INNOCENTS), confondants de naturel et de justesse.

Une œuvre étrange et inclassable, un jalon méconnu du cinéma britannique des années 60, à redécouvrir absolument.

— Bertrand Grimault

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia, avec le concours de Warner France.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 20 NOVEMBRE 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


RE-ANIMATOR

Un film de Stuart Gordon
États-Unis / 1985 / couleur / 1h26 / VOSTFR
Scénario de Dennis Paoli, William Norris et Stuart Gordon d’après la nouvelle de Howard Phillips Lovecraft, Herbert West, réanimateur.
Musique de Richard Band
Avec Jeffrey Combs, Bruce Abbott, Barbara Crampton, David Gale.

Interdit aux moins de 13 ans lors de sa sortie en salles.

Grand prix au Festival de Sitges 1986
Prix spécial au Festival fantastique d'Avoriaz 1986

— Brillant étudiant en médecine, promis à une grande carrière, Dan Cain sort en secret avec Megan, la fille du très conservateur doyen de sa faculté. Pauvre, il n’a d’autre choix que de sous-louer une chambre de sa maison à Herbert West, un étudiant ombrageux en conflit direct avec le docteur Hill, leur plus éminent professeur qui mène des recherches sur les capacités post-mortem du cerveau. Mais si Herbert est si sûr de pouvoir l’affronter, c’est parce qu’il a découvert un sérum capable de ramener les morts à la vie…

Véritable « classique » du cinéma Bis, RE-ANIMATOR est à la fois typique de son époque et totalement unique. Typique car la décennie 80 a à de maintes reprises opéré le croisement de la comédie et de l’horreur à travers des films préfigurant la vague ironique et « méta » de la décennie suivante. Unique car aucun n’avait plongé avec autant de délectation et de joie dans la folie gore et le mauvais goût trash, à base de zombies furieux, de trépanations sauvages… et de cadavres décapités mais toujours libidineux (on laisse la surprise à ceux qui ne l’ont pas vu). Bref, un spectacle de pure exploitation directement hérité du théâtre du Grand-Guignol dans lequel Eros et Thanatos copulent joyeusement pour, au choix, faire hurler de rire le spectateur ou l’envoyer promptement vomir aux toilettes. Il reste aussi, aujourd’hui encore, un des rares exemples de mariage réussi entre ces deux genres, humour et gore se renforçant l’un l’autre au lieu de s’annuler mutuellement comme ce fut trop souvent le cas.

Très librement adapté d’une nouvelle de Lovecraft, le film capitalise surtout sur son nom prestigieux pour tisser une trame de soap opéra hospitalier aux ficelles aussi énormes qu’efficaces, un peu comme si URGENCES ou LA CLINIQUE DE LA FORET NOIRE se mettaient soudain à dérailler pour se vautrer dans le sang et le stupre. N’ayant peur de rien, sauf peut-être de ne pas choquer assez, Stuart Gordon pousse le récit et ses représentations horriblement drôles dans leurs derniers retranchements pour faire sauter nos tabous les uns après les autres. Au point que, derrière la gaudriole macabre se terre une œuvre profondément dérangeante confrontant frontalement chaque spectateur au rapport qu’il entretient à la mort, cette donnée fondamentale que l’individu préfère souvent ignorer et refouler. On sait que les étudiants en médecine et de nombreux chirurgiens entretiennent un rapport distancié à la faucheuse, que leur humour généralement graveleux est lié à cette nécessité d’opposer une pulsion vitale au tragique. Eh bien, RE-ANIMATOR, c’est un peu ça : nous forcer à voir tout ce que l’on préfèrerait refouler, dans toute son obscénité, et en rire. Bref, c’est provoquant, dérangeant, outrageant… mais terriblement salvateur !

Si les années 80 ont été riches en films d’horreur provocateurs (STREET TRASH, BRAIN DAMAGE…), RE-ANIMATOR a marqué pour beaucoup une sorte de point-limite : que faire de plus après ça ? Certains ont depuis tenté de répondre à la question (on pense à Eli Roth en premier lieu) mais, quarante ans après sa sortie, le film continue d’éclairer les ténèbres de nos peurs, tel le sérum fluorescent d’Herbert West, savant génial et fou… à l’image du film.

— Mathieu Mégemont


_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia.
_________________________________________________________________________________________

DIMANCHE 18 DÉCEMBRE 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement


THE NEON DEMON

Un film de Nicolas Winding Refn
États-Unis - France - Danemark / 2016 / couleur / 1h58 / VOSTFR
Scénario de Polly Stenham, Mary Laws et Nicolas Winding Refn
Musique de Cliff Martinez
Avec Elle Fanning, Karl Glusman, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee, Keanu Reeves, Christina Hendricks

Interdit aux moins de 12 ans.

— Jesse, une juvénile orpheline ayant quitté sa Georgie natale, débarque à Los Angeles avec le projet de devenir mannequin. Sa beauté virginale la distingue immédiatement dans le milieu de la mode, avide, littéralement, de chair fraiche. Son ascension fulgurante suscite autant le désir que la jalousie de concurrentes sculptées par la chirurgie esthétique. La candide prétendante au succès va progressivement faire sa mue et révéler sa véritable nature.

Voici, dans l’écrin de la salle obscure, le retour d’un diamant noir qui aura déconcerté une grande partie du public et de la critique à sa sortie. Il faut dire qu’après le succès de DRIVE (prix de la mise en scène au festival de Cannes en 2011) et le discrédit jeté sur ONLY GOD FORGIVES (2013) par des critiques inattentifs, sinon borgnes, Nicolas Winding Refn était attendu au tournant.
Alors qu’il est de bon ton pour le cinéma contemporain de s’affirmer comme tribune pour les turbulences sociales et le désastre global qui pèse sur l’humanité, le geste formaliste qui privilégie l’écran comme surface propice à l’abstraction - renouant avec le principe avant-gardiste du cinéma comme un art singulièrement plastique - est voué le plus souvent, dans ce 21ème siècle présumé futuriste, à l’incompréhension, voire à la relégation dans le champ dit de "l’expérimental", avec ce que cela connote d’obscur pour le "grand public". Pour le daltonien dyslexique qu’est Refn, la couleur joue le rôle d’un alphabet d’émotions, elle est une partition en soi qui peut se permettre une narration serpentine, pour nous transporter sans interdits dans un monde visuellement sidérant.

Ainsi, le dernier film en date du turbulent réalisateur danois pousse tous les curseurs sensoriels, pour une expérience rare sur le grand écran.
Il gravite autour de quatre personnages de femmes puissantes, les hommes n’étant ici au final que des papillons attirés par la lumière de corps presque irréels, figurants fascinés qui cherchent à fixer sur papier glacé leur beauté baroque, magnifiée par Natasha Braier, géniale directrice de la photographie. Polly Stenham, dramaturge britannique que la pièce THAT FACE écrite à 19 ans a propulsé sur le devant de la scène, et Mary Laws, jeune scénariste et productrice américaine, qui ont toutes deux co-signé avec Refn l’adaptation, complètent ce tableau majoritairement féminin, contredisant si besoin l’idée que le cinéma de genre, versant horrifique, ne serait que l’affaire de mâles aux penchants coupables.

THE NEON DEMON est donc une vanité. Une célébration vénéneuse de la beauté, de ses pouvoirs et de ses artifices. Un espace de la métamorphose où règnent des créatures comme étrangères au genre humain. Mais qu’importe le visage, puisque c’est le masque qui fascine. Et ici le masque est un somptueux vitrail qui puise dans un répertoire plastique hérité de Mario Bava, exacerbant les expérimentations chromatiques de Clouzot sur L’ENFER et prolongeant l’exploration hallucinée des dédales du SUSPIRIA d’Argento.

Dépassant l’exercice de style référentiel, THE NEON DEMON actualise avec brio le thème du vampirisme et déploie un imaginaire visuel d’une rare sophistication, confirmant Refn comme un des cinéastes les plus doués de sa génération.

— Bertrand Grimault

_________________________________________________________________________________________

Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia
_________________________________________________________________________________________