LES ÉPISODES

— Le court métrage serait-il au cinéma ce que la nouvelle est au roman ? Un précipité, une fulgurance, un jeu d’équilibre, un art de la concision ? Un mardi soir par mois au Cinéma Utopia, LES ÉPISODES vous laissent vérifier cette hypothèse et se proposent de pallier à l’absence sur le grand écran des salles obscures (en dehors des festivals spécialisés) de ce genre en soi. Il s’agit de réunir thématiquement des œuvres qui échappent aux modes de diffusion habituels et qui sont passés sous les radars de la consommation d’images en ligne. Ce sont des films d’artistes, des films-essais, des expérimentations, des formes hybrides, parfois des manifestes.
Chaque séance présente un choix de films, formant les chapitres d’un récit.

MARDI 1ER FÉVRIER 2022 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 7€ ou Ticket abonnement



1 / ANIMATION BREAKDOWN


David O’Reilly
THE EXTERNAL WORLD

(USA / 2010 / 17')
« Un jeune garçon prend des leçons de piano ». C’est le sobre synopsis d’un film d’animation qui a défrayé la chronique il y a 10 ans de cela et qui s’impose encore aujourd’hui pour sa singularité.

— Irlandais de naissance, David O’Reilly est un artiste pluridisciplinaire vivant et travaillant à Los Angeles. Il a débuté à l’âge de 14 ans comme assistant-animateur avant de poursuivre une carrière personnelle remarquée en passant par Londres et Berlin, notamment en créant le jeu vidéo Mountain, puis Everything où chaque élément peut être joué. Son travail d’animation a fait l’objet de plusieurs rétrospectives (dont le MOMA), et il donne des masterclasses dans de nombreux contextes (CalArts, Harvard, Yale, etc). THE EXTERNAL WORLD, coécrit avec Vernon Chatman, a été présenté en Première à la Mostra de Venise et a reçu de très nombreux prix dans des festivals internationaux.
www.davidoreilly.com/
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David Fidalgo Omil
REALITY

(Espagne / 2020 / 7’51)
En prenant comme point de départ des moments d'actualité significatifs des années 2019 et 2020, REALITY offre un regard critique et ironique sur les programmes de la soi-disant "télé-réalité".

— Après quatre clips musicaux et les courts métrages d'animation LETTERS TO SUPERMAN (2016) et HOMOMAQUIA (2019), qui a été nommé aux Goya Awards 2020 (Espagne), REALITY est la troisième réalisation d’un jeune cinéaste né à Lugo en 1989.
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Cyriak
MALFUNCTION

(GB / 2016 / 2'12)
"Dysfonctionnement" est le terme qui s'applique à tout ce que produit ce trublion de Cyriak : s'évertuant à détraquer le quotidien le plus banal ou d'innocentes scènes bucoliques, il agit comme un savant fou ou plus exactement comme un sorcier du fractal, explosant les limites physiologiques admises par une succession de mutations insensées et drôlatiques qu'il accompagne de ses propres compositions musicales tout aussi absurdes.
David Cronenberg et John Carpenter doivent apprécier.

— Cyriak Harris, aka Mutated Monty, est un artiste de l'animation et musicien britannique né en 1974. Son univers provocant, qu'on pourrait qualifier de "very bad trip", est fait de transformations et de décompositions incessantes qu'il créé en combinant Photoshop et After Effects et qu'il a popularisé grâce à sa chaine YouTube.
http://cyriak.co.uk/animation/

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Peggy Ahwesh, The Blackest Sea - Courtesy Electronic Arts Intermix (New York)


Peggy Ahwesh
SHE PUPPET

(USA / 2001 / 15’)
Musique : Goblins, Suspiria / Puccini, Madame Butterfly ("Vogliatemi bene", interprété par Maria Callas)

Et si Lara Croft, héroïne du jeu vidéo d'action Tomb Raider, archétype de la guerrière du futur, était douée d'une voix propre ? Victime des négligences des joueurs (majoritairement masculins), poupée faite de cônes, de cylindres et de polygones, prisonnière d’une identité programmée dans un monde artificiel soumis au péril et à la violence, elle se poserait des questions existentielles sur le sens de ses vies, morts et renaissances successives. À l'insu des gamers focalisés sur les exploits de leur avatar féminin, elle emprunterait ses réflexions aux écrivains Fernando Pessoa ("Le livre de l'intranquilité", œuvre fragmentaire et posthume) et Joanna Russ ("The Female Male", utopie féministe et lesbienne traduite en français sous le titre de "L'autre moitié de l'homme", Robert Laffont, 1977), ainsi qu’à une interview du musicien de jazz intergalactique Sun Ra.
Peggy Ahwesh explore dès 2001 la plasticité singulière des univers générés par les machines et "ventriloque" la quête solitaire d'un être synthétique - "un corps étrange en exil" - dans un paysage géométrique, précédant ainsi dans cette démarche d'autres artistes tels Harun Farocki, Hito Steyerl, Ed Atkins ou Phil Solomon pour ne citer qu'eux.

Peggy Ahwesh
THE BLACKEST SEA

(USA / 2016 / 9’30)
Musique : Passacaglia, pour Orgue et Cordes, K. 11 (1946) par Ellis B. Kohs.
Images : Animateurs Taïwanais, News Direct et Tomonews US.
Courtesy of Electronic Arts Intermix (EAI), New York.

 « Souffle sur souffle, les eaux noires angoissées se soulevaient comme si l’énorme halètement de la mer était celui d’une conscience, et comme si l’immense âme du monde était dans l’angoisse, tourmentée de remords pour le péché et la souffrances interminables qu’elle avait enfantée ».
— Herman Melville, Moby Dick (traduction d’Armel Guerne, Club français du livre, 1955)

Peggy Ahwesh
THE FALLING SKY

(USA / 2017 / 9’30)
Musique : Passacaglia, pour Orgue et Cordes, K. 11 (1946) par Ellis B. Kohs.
Images : Animateurs Taïwanais, News Direct et Tomonews US.
Courtesy of Electronic Arts Intermix (EAI), New York.

« La brise elle-même chuchotait à mes oreilles en un apaisant murmure. La nature, maternelle, m’invitait à sécher mes larmes. Et puis, une fois de plus, l’influence bénéfique cessa d’agir. Je me trouvais à nouveau enchaîné au désespoir, plongé dans la misère des réflexions amères ».
— Mary Shelley, Frankenstein (traduction de Joe Ceurvorst, Marabout, 1964)

THE BLACKEST SEA (« la mer la plus noire ») et THE FALLING SKY (« le ciel qui tombe ») s’ouvrent chacun sur une citation empruntée à deux romans emblématiques où la présomption d’une humanité à vouloir exercer sa domination sur la nature se solde par une confrontation violente et irrémédiablement funeste.
Ce diptyque que l’artiste présente aussi en installation double-écran dans des lieux d’exposition sous le titre de « Verily! » est un miroir de notre quotidien technologique où la passacaille du compositeur américain Ellis B. Kohs rappelle que « l’homme fuit comme l’ombre », désormais simple statistique dans le flux des données. L’information fragmentée, mêlant crises, scandales, cataclysmes, ragots, opinions, découvertes, divertissement, opère un lent drainage de notre subjectivité. Nos peurs et obsessions collectives se trouvent réduites à de lisses animations de synthèse en provenance de YouTube.

Les images de ces deux films sont des "ready-made" empruntées à une chaine taïwanaise d’actualités sur Internet qui illustre ses sujets en animation 3D. Ainsi, Peggy Ahwesh, en puisant dans un répertoire d’événements inquiétants et de catastrophes contemporaines qui rythment inlassablement notre quotidien, compose une sorte de requiem à l’ère de la post-humanité, où la réalité du désastre s’éloigne toujours plus dans sa représentation aseptisée.

— Présentation par Peggy Ahwesh de l’exposition VISION MACHINES au Centre d’art contemporain de Spike Island :

— Née en 1954 à Canonsburg, en Pennsylvanie (USA), Peggy Ahwesh est une cinéaste expérimentale et une artiste vidéo. Son travail a été abondamment présenté dans le monde entier ces 30 dernières années et le centre d’art contemporain Spike Island à Bristol lui a récemment consacré sa première exposition personnelle (25 septembre 2021- 16 janvier 2022). Elle a enseigné jusqu'en 2020 le cinéma et les arts numériques au Bard College, à New York.
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Aleix Pitarch
ORDERS

(Espagne / 2020 / 30’)

L’artiste barcelonais Aleix Pitarch adopte également une esthétique lisse, neutre, indifférenciée, pour revenir avec ORDERS sur un canular téléphonique glaçant qui avait défrayé la chronique dans les années 2000 aux États-Unis. Les exactions que cet appel frauduleux avait déclenchés rappelaient les fameuses expériences de Milgram (Yale, 1961) et de Zimbardo (Stanford, 1971) qui mettaient en pratique la capacité de braves citoyens à se livrer à des actes réprouvés, quand ils sont légitimés par l’autorité.
Le fait divers traité ici a donné lieu à un long métrage, COMPLIANCE, réalisé par Craig Zobel et sorti en 2012.


(Sous-titres français disponibles dans les paramètres.)

— Aleix Pitarch est né en 1980 et est toujours vivant.
www.aleixpitarch.com/

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Durée totale du programme : 1h31
Tous les films sont en VOSTFR.
Avertissement : certains propos et certaines images sont susceptibles de heurter la sensibilité du public.

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Nous remercions pour leur participation : Aleix Pitarch, David O'Reilly, Cyriak, Peggy Ahwesh, Hannah Kay et Electronic Art Intermix (New York), David Fidalgo Omil, Marta Salvador Tato et Distribution with Glasses, Loïc Diaz-Ronda et le festival Cinespaña.

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LES ÉPISODES emprunte son titre à la revue littéraire du même nom.
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